Dans le corps d’Augustine
Temps d’orage. Augustine, domestique de la maison, sert la soupe à une grande assemblée de convives. Sa main se met à trembler, elle manque de renverser le potage. La jeune fille cherche à calmer son mal, discrètement, en cuisines ; une autre jeune domestique s’enquiert d’elle, pour l’instant, seule témoin de son trouble. Augustine persiste à camoufler ses tremblements. Mais parviendra-t-elle à remplir cette interminable quantité de verres sans que personne ne s’aperçoive du mal dont elle souffre ? Véritable suspense. Ca y est, nous sommes dans son secret. Un mal caché qui deviendra très vite chose publique, objet d’étude, d’effroi et de fascination. Le spectateur est de son côté et en absolue empathie avec elle. A travers Augustine, son regard et son corps aux formes affirmées, nous frémirons, désirerons pendant plus d’une heure et demie et certainement longtemps après avoir quitté la salle, en pensées.
Alice Winocour sait dans sa magnifique scène d’ouverture poser tous les fondamentaux de sa mise en scène. Une caméra qui suit les mouvements de la protagoniste (la chanteuse Soko devenue ici comédienne) filmée en longue focale, avec une grande sensualité (la caméra est désirante, le corps de l’actrice et l’œil du chef opérateur semblent dialoguer du début à la fin du film). Un montage construit sur des raccords de regard : de l’objet regardé au sujet regardant ; déterminant les rôles assignés. Une opposition nette qui existe dès la première séquence jusqu’au plan final : d’un côté, la foule, intriguée, consternée et de l’autre, la malade, seule, scrutée, jugée, examinée. Les cartes du jeu resteront les mêmes, mais se distribueront de plusieurs autres façons. En ce sens, la structure du scénario d’Alice Winocour est psychanalytique. Le symptôme : l’hystérie, évolue, se transforme… On assiste au parcours physique et intérieur d’une jeune femme, enfermée dans sa maladie, qui lentement et progressivement trouvera la voie de sa libération. Ce film est l’histoire d’une émancipation. Augustine est accueillie à l’hôpital de la Salpêtrière et suivie par le docteur Charcot. Sa guérison passera par un duel avec le médecin. « L’hystérique est une esclave qui cherche un maître sur qui régner », disait Lacan. Vincent Lindon incarne le professeur Charcot à merveille, en jouant sur la contradiction d’une voix grave, insensible et autoritaire et d’un regard soumis et fragile devant l’érotisme d’Augustine. Il joue de son pouvoir, parle d’elle comme d’un animal. Mais la jeune fille refuse ce statut et retrouve dans la révolte et la fuite, sa dignité.
La réalisatrice a mieux compris l’hystérie que David Cronenberg n’avait tenté de le faire dans A Dangerous Method, scandé par les mouvements spasmodiques de Sabina Spielrein réduits par Keira Knightley à de ridicules singeries. Le long-métrage d’Alice Winocour détient une puissante vérité et doit certainement beaucoup à son actrice, Soko, qui s’est donnée corps et âme à son personnage (elle dit avoir connu pendant le tournage les mêmes maux qu’Augustine et avoir par la suite consulté plusieurs médecins !). Mais pas seulement. Non. Il fallait aussi certainement une femme réalisatrice (ou du moins un regard féminin) pour traiter de l’hystérie avec autant de justesse, de discernement et d’intelligence. Il fallait un regard désacralisant, un regard qui voit au-delà du spectacle, qui enjambe l’obstacle et une fois de l’autre côté, nous fait vibrer avec celle qui vibre. Aborder l’hystérie sans hystérie.
Augustine, de Alice Winocour, avec Vincent Lindon, Soko, Chiara Mastroianni… France, 2012. Sélectionné à la Semaine de la critique du 65e Festival de Cannes. Sortie le 7 novembre 2012.
» Lire l’interview d’Alice Winocour
» Retrouvez tout notre dossier dédié au 65e Festival de Cannes