Men in Black : There’s a Starman…
Plongeon en 1969. L’agent J se retrouve “2000 light years from home”, ainsi va le refrain chantonné par les Rolling Stones dans le film. La voix envoûtante de Lou Reed accompagne la party marijuana power d’extraterrestres dans le vent. Et Andy Warhol… est un imposteur ! Ce passé exploité, c’est aussi celui du spectateur, se remémorant l’aventure originelle…
Mélange atomique de buddy movie au timing comique infernal et de déclaration d’amour au monde de la science-fiction, le premier Men in Black, c’était du comics-cartoon vivant, la fusion entre le rire US et la fantaisie fantastique… se concluant sur le plus beau spectacle, non pas celui de l’actionner burlesque, mais celui, poétique, des étoiles… Des étoiles, il en est encore question, quinze ans après !
Scénario inégal selon les dires de Barry Sonnenfeld himself, interruption durant le tournage, rappel en renfort du scribouillard baroudeur David Koepp : tout laissait présager, pour ce troisième opus céleste, une suite bâtarde, un épisode de trop, un too much indiscutable, l’essoufflement d’une trilogie qui n’aurait connu un véritable tourbillon d’inventivité que par le biais de son premier numéro… Mais que les aficionados des Mystères de l’univers se calment, puisqu’au final, point de crash ou d’apocalypse artistique, mais une œuvre titillant l’originalité dans un même univers. Si Men in Black 2, vrai-faux remake inavoué d’un premier opus punchy, pouvait se résumer par une fainéantise créative transformant l’originalité en banalisation, et ce par un même schéma narratif (J remplaçait tout simplement K dans le rôle de celui qui sait tout !), soit la dangerosité de toute suite (le produit frais devient du « réchauffé »), cette troisième œuvre, toujours assurée par un Barry Sonnenfeld roi du gag, décide d’exploser le duo éternel Will Smith/Tommy Lee Jones par un changement d’époque. Changement d’époque imposant des références culturelles, un Josh Brolin troublant d’authenticité en jeune agent K, et un sens de la dextérité scénaristique habile…
Or, rien de transcendant dans cette mouvance de l’entertainement concis, pas de croisement hybride entre l’univers visuel Men in Black et la complexité fascinante de Retour vers le futur 2 (autre production Spielberg !)… puisque c’est indéniablement par une logique de gagman que Sonnenfeld choisit, en toute modestie, de ne pas user des dix-mille possibilités du paradoxe temporel. Car de la pirouette dans le temps chère au Doc Brown, il est bien question, mais d’une manière particulière. Si les dangers du saut dans le passé sont limités, jamais concrétisés, l’idée savoureuse du « Et si… » est tout de même exploitée. Et si K ne déposait pas de pourboire ? Et si c’était « cet » avenir, pas celui-là ? En fait, ce qu’il y a d’original, c’est que ce concept bien connu ne fonctionne pas comme un climax ou une toile d’araignée de tous les possibles (ce qu’était Retour vers le futur), mais comme… une vanne. La voilà, la logique de ce Sonnenfeld qui envisage plus sa trilogie non pas comme un hommage aux monstres extravagants, mais comme une pure comédie. Par le biais d’un farfelu personnage visualisant simultanément tous les futurs, les hasards temporels innombrables font l’objet d’un simple gag. Mais une œuvre bien dynamique comme Les Valeurs de la famille Adams, signée du même Barry (attachant le bougre !), n’était-elle pas, de même, un comic-strip live, plutôt qu’un hymne au gothique, au mauvais goût et au morbide ?
Dans cette veine humoristique, Sonnenfeld et ses scénaristes déjouent chaque lourdeur moralisatrice par une blagounette proche des Simpson. Exemple, messieurs-dames : cette réplique de J face à deux flics l’accusant de vol de voiture, plutôt par différence de teint que par instinct d’enquêteur. « Hey !, rétorque J, souvenez-vous que ce n’est pas parce qu’un Black est au volant d’une superbe caisse qu’il l’a forcément volée ! » (hésitation) « Bon, moi, okay, j’ai volé cette caisse, mais bon ! »… Drôlerie ! Et, bien sûr, les échanges colorés entre J et K, même à trente ans d’écart, demeurent les mêmes. Pareil vannage caustique proche de l’humour d’un Matt Groening (et de ses scénaristes phares) avec ce gag du crash de Wall Street. En traversant, ou plutôt en plongeant littéralement dans le temps, J rencontre quelques boursiers suicidaires…
Bande originale réussie parcourue de variations musicales agréables (le merveilleux thème d’Elfman façon guitare électrique), foire aux extraterrestres tenant de la générosité de maquilleur (Rick Baker forever, and ever), progression tenant sur cette merveilleuse idée du « voyage dans la Lune » comme moyen de sauver la planète, Men In Black 3 fait ainsi de l’imaginaire une bravoure, un élément essentiel à la sauvegarde de l’homme. L’homme va explorer l’espace, voir de plus près les étoiles, et c’est comme cela qu’il sera sauvé. Si ce respect sincère de la (science-)fiction et de l’impossible fait de ce troisième opus un ouvrage intègre, et fidèle, malgré ses inégalités, à la saveur d’un premier épisode, c’est aussi parce qu’à tout moment l’on nous rappelle le lointain de cette initiale aventure ! Il n’y a qu’à voir toutes ces répliques où Will Smith rappelle son ancienneté (d’agent, comme d’acteur, les deux étant liés à une même trilogie à succès), n’étant plus ce « Junior » de jadis, ou, bien sûr, découvrir ce twist final touchant et la question obsédant J (comment K a-t-il pu devenir ainsi, fougueux qu’il fut ?), pour comprendre que tout forme un chemin plutôt empreint de nostalgie par rapport à Men in Black premier du nom. Cette fin en elle-même boucle la boucle et surligne le point fondateur de la sève MIB : ce duo, le rapport entre ces deux agents, duo de stand-up s’il en est, mais aussi apport émotionnel… Spielberg, producteur, semble se souvenir de la relation particulière qui unissait Doc (on y revient) à Marty… entre humour et attachement. J n’est plus le jeune loup qu’il était. N’empêche, 1997… ça ne date pas d’hier. 1969 non plus, d’ailleurs.
Merci à Sonnenfeld et à ses créateurs de rappeler le lien, indiscutable, entre un spectateur et l’œuvre qui l’a bercé… Et ce même gugusse de spectateur, tout naïf qu’il est face au brio du divertissement altruiste, de revoir la meilleure comédie de Barry, le sourire en pleine poire. Son meilleur film… Une histoire d’hommes en noir, vous savez… « Here come the men in black… »
Men in Black 3 de Barry Sonnenfeld, avec Will Smith, Tommy Lee Jones, Josh Brolin… Etats-Unis, 2012. Sortie le 23 mai 2012.