La plus belle n’ira plus danser
Mariam est comme toutes les jeunes filles de son âge. Elle aime aller en discothèque, s’amuser, prendre des selfies, s’habiller un peu sexy et pourquoi pas, aller prendre l’air avec ce beau ténébreux qui la dévisage tant. Mais après ces premières minutes idylliques, l’enfer se glisse sous ses pas. Une ellipse la présente en train de courir dans la rue, en larmes, poursuivie par le ténébreux en question qui la prend dans ses bras pour la calmer. La belle vient de se faire violer collectivement par une meute de policiers. Elle décide de porter plainte et de réclamer justice, coûte que coûte, mais elle ira de situation kafkaïenne en absurdité désespérante. Car, on a oublié de le préciser, mais ce détail a toute son importance, Mariam vit en Tunisie. Et malgré le Printemps arabe, les jeunes filles restent des victimes dont on tait la souffrance, la corruption est toujours prégnante, la police n’est qu’une parodie d’elle-même à la solde des politiques et toute affaire de mœurs est forcément de la faute des femmes.
Car c’est de la faute de Mariam si elle est sortie dans la rue, si elle a embrassé un preux chevalier, un outrage pur et dur. C’est encore de sa faute, si habillée d’une robe courte et maquillée à l’européenne, sans voile, elle a aguiché sans le savoir, sans le vouloir, une horde de policiers dénués d’âme qui la filment tout en la fustigeant. C’est encore de sa faute si aucune clinique privée ne veut la prendre en charge, s’il faut un dépôt de plainte au commissariat pour pouvoir être auscultée, si personne ne peut et ne veut l’aider. Et son seul roc, ce garçon inconnu qui la suit malgré tout et tente de la soutenir, est victime à son tour. Coupable d’avoir fait partie des émeutiers, d’être anti-système.
La Belle et la Meute et ses neuf chapitres comme un conte horrifique, a fait partie des films qui ont fait sensation lors du dernier Festival de Cannes, dans la catégorie Un Certain Regard. Il ne cesse, depuis, de remporter des trophées à l’international. Mais son mérite n’est pas là. Il provient du fait qu’il soit réalisé par une femme, Kaouther Ben Hania (Zaineb n’aime pas la neige), qui entend bien dénoncer l’opprobre jeté dans son pays, malgré ce que l’on aurait pu prendre pour une avancée historique. Pour les femmes, rien n’a changé ou presque. Sa Mariam cherchant justice se revendique en Marianne guidant le peuple. Elle est brillamment interprétée par Mariam Al Ferjani, aux yeux de biche traquée, qui est de tous les plans, qui protège du mieux qu’elle peut le semblant de dignité qui lui reste, qui troque le sourire contre une détermination sans faille. Elle est de tous les plans, tous les avilissements. Elle est magnifique. Tout comme le film, images bleutées, sensation de malaise étouffante, caméra virevoltante lors de plans-séquences impressionnants, avec option indignation en prime. Un film témoignage et coup de poing qui risque de faire parler de lui pendant longtemps, trop longtemps…
La Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania, avec Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli, Noomane Hamda, Mohamed Akkari et Chedly Arfaoui. Tunisie, 2016. Sortie le 18 octobre 2017.