Durant les fêtes de Noël, les cinéphages dépensent jusqu’à leurs derniers deniers dans les pires nazeries estampillées « Coffret Collector Ultimate Les Charlots font l’Espagne » pendant que les cinéphiles à peau grasse arpentent la mort dans l’âme les vide-greniers à la recherche du dernier chef-d’œuvre ouzbek primé au Festival de Bakou 1974. Parce qu’en fin d’année les rayons débordent d’improbables coffrets où La Septième Compagnie au clair de lune côtoie L’Arbre aux sabots, la brigade du bon goût se doit d’intervenir rapidos au plus près du corps comme au plus près du cœur ; la situation est grave mais pas désespérée.
Chef de la section Bourgogne de la 11e Brigade du Bon Goût, je vous présente l’ultime sélection de galettes qui vous permettra de briller en société.
La Grande Russie
Guerre et paix de Sergueï Bondartchouk, avec Ludmilia Savelieva, Sergueï Bondartchouk, Viacheslav Tikhonov, Irina Skobtseva…
Fresque immense réalisée entre 1965 et 1967, Guerre et paix raconte la Russie du début du XIXe siècle à travers l’histoire de deux familles de l’aristocratie. En toile de fond, les grandes batailles napoléoniennes qui bouleverseront toutes les sphères de la société, du petit peuple jusqu’aux gens de la Haute.
Le premier tableau, Andreï Bolkonski, surprend par le ton mystique et contemplatif de son introduction ; à l’orée de la forêt, la caméra caresse les ombres et s’amuse des éclats de lumière. Sergueï Bondartchouk célèbre la nature, un peu maladroitement. Au loin, une guerre terrible s’annonce. Le bruit des canons résonne déjà aux frontières de l’Empire.
Tandis qu’à la cour, où tout se trame et se décide, les bals s’enchaînent. C’est le temps de l’innocence. Mais gare. Derrière les colonnes de marbre, en coulisse, les généraux rassemblent leurs troupes. Les palais ouverts aux quatre vents abritent les rires des mondains et leurs futiles palabres. Ces privilégiés ignorent que bientôt leurs enfants pourriront au fond d’une tranchée.
Les pièces de l’échiquier se mettent en place ; l’ambitieux Andreï se prépare au combat, Pierre Bézoukhov souffre de faiblesse et la jeune Natacha, espiègle et rebelle, s’apprête à devenir une femme.
Ne gâtons pas notre plaisir ; Guerre et paix, le film, respecte fidèlement l’œuvre de Tolstoï. Chaque tableau témoigne d’une bataille ou d’un conflit intérieur. Les thèmes abordés (psychologie, politique, etc.), traités avec déférence, s’égrènent comme dans les meilleurs livres d’histoire et manuels de géographie. Toutefois, ce côté scolaire et emprunté peut rebuter. La célèbre Mosfilm (légendaire studio russe, maison mère de Tarkovski et Klimov) s’est donnée les moyens de ses ambitions même si l’URSS a généreusement mis la main à la poche (et à la pâte) en prêtant son armée (120 000 figurants). Parfois, le film se pique de points de vue bizarroïdes comme celui du canon au cœur de la bataille.
Guerre et paix ne mérite pas le mépris qu’il se traîne depuis des années car il possède son propre langage cinématographique, et ce n’est pas si souvent qu’une œuvre filmée offre aux spectateurs autant d’échelles d’analyse et de transversalité. Coffret disponible aux Editions Montparnasse.
Le Grand Ingmar
Au seuil de la vie d’Ingmar Bergman, avec Ingrid Thulin, Bibi Andersson, Eva Dahlbeck, Max von Sydow…
Rappelez vous les routiers mélomanes et leurs taquineries au sujet de la persistance rythmique d’Edgar Chombier. Voici la retranscription fidèle d’une nouvelle discussion de nos deux forçats du bitume au sujet du dernier Ingmar Bergman (disponible en DVD) :
Quelque part sur une autoroute du Nord… Couic couic couic… (Bruit des essuie-glaces)
René -Jacky ?
Jacky -Oui mon René ?
René -La semaine dernière, une fois ma femme couchée, je me suis fait un petit plaisir devant la télé.
Jacky –Quoi ? Tu remets encore ça mon saligaud ! Je t’ai déjà dit que Sharunas Bartas, c’était mauvais pour ton cœur !
René –Non, j’ai rangé mes Bartas au-dessus de l’armoire. Je t’ai pas dit mais j’ai reçu sous pli discret Au seuil de la vie d’Ingmar Bergman…
Jacky –Oh mon René, si les copains savent ça ! Déjà ton calendrier Godard au fond du bahut, ça la fout mal !
René –Ah, ce Bergman ! (soupir). Un huis clos dans une maternité, c’est d’une beauté. C’est là-bas où tout se joue mon Jacky. Comme personne Bergman sait jouer des contrastes pour exprimer les sentiments ! Et puis je maintiens que Max Wilen, son photographe, n’a jamais aussi bien photographié les femmes… (soupir) Comme s’il photographiait les âmes.
Jacky –Hein ? Regarde la route, merde !! Bon, je trouve quand même que le cinéaste a parfois du mal à temporiser ses ardeurs sur la forme et que, du coup, il néglige trop le fond ! C’est quand même pas Les fraises sauvages non plus, ton truc !
René –Oui, mais les gros plans sur les visages… J’vais t’dire un truc mon Jacky, je n’ai jamais vu l’humain aussi bien pénétré que depuis ma dernière coloscopie ! (Indignation discrète de Jacky avec un haussement d’épaule limité par une salopette trop courte)
Jacky –T’es con ! Mais t’es drôle mon René ! Bon, tu me le conseilles ce Bergman finalement ? Faut absolument que je l’vois dans ma cave, au frais et loin de ma bergère, pendant qu’elle ronfle devant Plus belle la vie !
René –Tu peux y aller les yeux fermés. Comme à son habitude Bergman traite des destins et des choix qui bousculent nos existences. Tiens, passe-moi un mouchoir….
Laissons René et Jacky tailler la route et suivez leur exemple de bon goût.
Film disponible aux Editions Montparnasse.
La Grande Catherine
Coffret Catherine Deneuve
Il y a de cela une dizaine d’années, j’écumais les boîtes de ma région pour des petits boulots en intérim, un peu à la manière de David Banner dans la série Hulk sauf qu’à l’époque, je ne portais pas de chemise à carreaux. Look trop ostentatoire, trop ouvrier, je n’avais ni la carte ni le parti et nullement l’envie de tenter le diable. La chemise à carreaux, c’est pour les pros. Toujours est-il que mes compagnons de galère, les forçats de chez Picard, Frigelux et Vivagel, bien sûr, avaient tous en commun d’être des inconditionnels de Catherine Deneuve. Des purs et des durs.
En tout cas, chers lecteurs et lectrices, je vous recommande chaudement ce coffret parce qu’il n’est pas seulement un hommage appuyé à l’actrice mais un bon moyen d’embrasser le cinéma à travers les époques et les genres.
Répulsion (1965) de Roman Polanski
Avec Répulsion, Polanski modélise ce qui deviendra plus tard le palpitant de son cinéma, à savoir la superposition des troubles « intérieurs », ou comment une jeune femme se retrouvant seule quelques jours se renferme sur elle-même dans un monde hallucinatoire et cauchemardesque. Le génie du maître, c’est de claquemurer ses personnages dans la folie tout en exacerbant la dangerosité de l’environnement ; notre paranoïa fait le reste. Avant de nous enfermer, le cinéaste n’oublie jamais de jeter la clé. Fruit des esprits torturés de ses scénaristes (le regretté Gérard Brach et Polanski lui-même), Répulsion est un magistral petit film d’horreur. Catherine Deneuve se révèle crédible aux yeux des amateurs de frissons.
Les Demoiselles de Rochefort (1966) de Jacques Demy
Inutile de louer la poésie de Jacques Demy et la partition de Michel Legrand. Une chose est sûre ; je déteste ce film. Le ton, les dialogues, la musique, à peu près tout me débecte et me fout en rogne. J’exècre Les Demoiselles de Rochefort et je ne m’en porte pas plus mal. Mais c’est un grand film !
Belle de jour (1967) de Luis Bunuel
Catherine Deneuve passe de Demy à Bunuel ! La grande classe. Belle de jour, chef-d’œuvre s’il en est, tire sa substance des fantasmes qui hantent chacun de nous. Sommes-nous en capacité de les assumer ? Ou le fantasme doit-il nourrir la raison ? Gage de qualité : Jean-Claude Carrière suture les fils du scénario.
La Sirène du Mississippi (1969) de François Truffaut
Truffaut signe une aventure ensoleillée au cœur de la Réunion. Il y est question de complots et de manipulations. Jean-Paul Belmondo survolté trouve en Michel Bouquet, raide comme la justice, un formidable adversaire. Catherine Deneuve, rayonnante et piquante, tire son épingle du jeu à l’aide de répliques tranchantes. La Sirène du Mississippi mérite d’être redécouvert parce qu’il est singulier et dépaysant. Il y a un ton et une ambiance.
Hôtel des Amériques (1981) d’André Téchiné
Les cinéphiles avertis s’accordent pour dire qu’Hôtel des Amériques compte dans la filmographie du cinéaste, qu’il est même une pierre angulaire. Catherine Deneuve donne la réplique à Patrick Dewaere dans l’un de ses derniers rôles. Pour ne rien vous cacher, je n’ai pas vu le film et je n’ai pas l’intention de le voir avant mes 67 ans révolus. L’amour passionné, la solitude, le deuil et la fatalité, c’est trop pour un seul homme qui, comme moi, ne rêve que d’étudiantes assoiffées de sexe.
Indochine (1992) de Régis Wargnier
Je ne suis pas client du cinéma de Régis Wargnier, trop grandiloquent, prétentieux et boursouflé. Catherine Deneuve joue une matriarche tout à fait crédible. Indochine pèche par excès de romance.
Huit femmes (2002) de François Ozon
Ozon adapte la pièce éponyme de Robert Thomas et réussit le tour de force de rendre ultraglamour le théâtre populaire. Rythmé, chatoyant, coloré, ce jeu de la vérité mérite qu’on s’y attarde.
Les sept films proposés composent un beau programme. Un investissement de qualité. Aux Editions Montparnasse.
Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, avec Yves Montand et Catherine Deneuve
Si aucun des films présentés précédemment ne vous inspirent, Le Sauvage saura vous redonner le sourire, surtout si vous êtes comme moi, sensibles aux rigueurs de l’hiver. Le cinéma de Rappeneau devrait être remboursé par la sécurité sociale tant il virevolte, tant il est joyeux et solaire.
Martin (Yves Montand) s’est retiré du monde. Sur un îlot près de Caracas, il vit sa vie de solitaire, au jour le jour, heureux et détaché du monde moderne. Tout vient à point à qui sait attendre. Sauf qu’il n’avait pas prévu de rencontrer Nelly, reine des emmerdeuses, chieuse professionnelle, miss Catastrophe. A la veille de son mariage, la tornade blonde quitte son fiancé et emporte tout sur son passage. Martin a la mauvaise idée de lui filer un coup de main. Tout dérape. Le Sauvage, c’est 1h40 de bonheur absolu, même que j’y retourne.
Edité chez StudioCanal.
Merci pour les bons plans ! j’y cours, j’y vole !
Le sauvage, c’est le bonheur. Bon, j’adore le cinéma de Rappeneau…
Guerre et Paix tient du pensum et de la fresque, une vraie curiosité.