Premier long-métrage du jeune scénariste-réalisateur coréen Han Jun-hee, Coin Locker Girl ajoute une touche de surréalisme à la tension haletante d’un film noir bien mené. La toute jeune actrice Kim Ko-eun brille aux côtés de la grande Kim Hye-soo, star incontournable du cinéma coréen.
L’histoire : dans un écosystème de crime et de violence, deux femmes sur la corde raide s’affrontent pour sauver leur place et leur vie. La plus jeune s’appelle Il-young et parcourt les quartiers de Séoul à la poursuite des créditeurs de Maman. Maman, c’est la chef du gang, une reine au regard fixe dont les sentences de mort tombent avec élégance. Ne pas la rembourser signifie perdre une cornée (35 000 dollars au marché noir) ou un rein (95 000 dollars), prélevés sans cérémonie par les poignards affûtés d’une équipe en blouse blanche. « Si tu ne me sers plus à rien, je te tue », prévient-elle doucement les orphelins qu’elle recueille et éduque à tuer. Enfant trouvée dans une consigne à bagages, Il-young ne connaît que cet univers noir, jusqu’à ce qu’une rencontre ne lui ouvre d’autres possibles. C’est le début d’un duel à mort entre la mère et la fille où la subtilité des sentiments oriente la violence de l’instinct de survie.
Personnages précis, caméra fluide, montage rapide. Le film séduit par la clarté vitale de l’image et du propos, pourtant jaillie de la noirceur d’une longue nuit urbaine. L’univers est semé de détails quasi oniriques qui suggèrent partout la chair comme frontière crevable entre la survie et la mort. Faim, drogue, prostitution, vol d’organes, Han Jun-hee ouvre la boîte du corps avec une froideur tendre qui préfère le stylisme au gore, évitant de noyer le propos dans les tripes. Sans négliger de laisser fleurir une certaine grâce monstrueuse : on se souviendra du regard noir et méprisant d’Il-young, des longs doigts fins de Maman, du reflet des cheveux roses de la sœur d’Il-young quand elle cherche sa vie au fond d’un miroir doré.
Coin Locker Girl de Han Jun-hee, avec Kim Ye-soo et Kim Ko-eun. Corée du Sud, 2015. Sélectionné à la Semaine de la critique 2015.