Les Nouvelles Vagues de Séville
Le Festival du cinéma européen de Séville s’est terminé le 15 novembre dernier en récompensant du Grand Prix Snow Therapy du Norvégien Ruben Östlund. Les films sélectionnés à ce festival convergent et échangent pour résister au « conformisme et à l’uniformité des idées » selon son directeur José Luis Cienfuegos.
Le Festival Cine Europeo de Séville est un festival assez important présentant plus de 200 films (longs et courts confondus) avec l’envie de la part des organisateurs d’être un espace d’expression et d’échange.
On passera vite sur la sélection officielle présentant ce qui se fait presque de mieux dans la production cinématographique européenne d’auteurs « reconnus » (Roy Andersson, Jessica Hausner, Alain Resnais, Pascale Ferran, Pedro Costa, Alice Rohrwacher, Andrey Zvyagintsev, Asia Argento, Mike Leigh, Bertrand Bonello…). N’en jetez plus et n’insistez pas. Ce n’est pas du tout par snobisme que l’on ne s’attardera pas sur cette belle sélection, qui fait d’ailleurs honneur aux plus grands festivals car beaucoup de ces films furent soit primés, soit sélectionnés dans de grands festivals de l’année – donc déjà commentés, mais il est parfois plus intéressant de regarder ce qui se fait en marge, ce qui construit le cinéma de demain.
Les nouvelles vagues
La sélection Las Nuevas Olas comportant fictions et documentaires, est la plus riche et la plus enthousiasmante du festival. Evidemment, comme dans tous ces espaces de liberté où s’expriment de nouveaux auteurs en majorité, les surprises furent belles et inégales, alors plutôt que de faire un panégyrique fastidieux, voici un top 5 très personnel des choses vues et appréciées :
Los Hongos d’Oscar Ruiz Navia est une chronique sociale se déroulant à Bogota. Deux jeunes étudiants cherchent dans le street art à construire leur rapport à leur ville et expriment une volonté de voir leur pays évoluer vers plus de solidarité. Filmé avec peu de moyens mais beaucoup d’envie, avec des comédiens débutants, il y a une fraîcheur et une liberté de création correspondant bien à l’art que défendent ces jeunes. Le film, très modestement, pose des questions fondamentales, notamment sur la représentation politique, la vieillesse et les possibilités d’expression de la jeunesse.
Free Range de Veiko Ôunpuu se veut une dérive alcoolique d’un journaliste venant de se faire licencier pour avoir écrit une critique méchante et moqueuse de Tree of Life de Terrence Malick. Ce même jour, il apprend que sa copine est enceinte. Poète torturé, il devra donc apprendre à se comporter en adulte, à s’accepter ou non, et abandonner peut-être ses rêves d’écriture. Accompagné par une bande-son fabuleuse dont les enregistrements ont été faits d’après vinyles, tourné en 16 mm, Free Range charme et plonge les spectateurs avec nostalgie, douceur et acidité sur ce chemin difficile que le personnage principal – sosie estonien de Pete Doherty – devra parcourir, parfois ivre, pour enfin trouver blouson à sa taille.
Dans Something Must Break (sortie le 10 décembre en France), Ester Martin Bergsmark parle du genre humain. Homosexuel à l’aspect androgyne, son personnage principal masculin rêve d’être une fille et tombe amoureux d’un garçon hétéro. Cependant quelque chose se passe et ils entament une relation. Caméra à l’épaule, tressautant sans cesse, ou plans ultra-léchés ultra-ralentis, Bergsmark fait preuve d’un certain sens esthétique, parfois un peu agaçant. Cependant, son film interroge assez justement le corps, le désir, le regard de l’autre et la connaissance de soi par la quête de l’amour.
Fidelio de Lucie Berloteau. Ariane est second-mécanicien sur un navire de marchandise. En embarquant sur le Fidelio, elle ne sait pas qu’elle va retrouver Gaël, un ancien amour qu’elle a quitté. Ce jeu des corps et des sentiments est assez passionnant au milieu de ce brouhaha violent des machines, sur cette mer où tout serait permis. Où l’on se met à nu véritablement. Un premier film sensible et d’une belle maîtrise où la vie particulière de la marine marchande est décrite avec précision – le personnage d’Ariane ayant été inspiré par la meilleure amie de la réalisatrice.
Mange tes morts de Jean-Charles Hue. Après le docu-fiction, La BM du seigneur, Hue retourne dans cette communauté yéniche (gitans du nord de la France) pour réaliser une fiction entre film policier et parcours initiatique où le vrai n’est jamais loin. D’ailleurs, tous les comédiens sont issus de la communauté. Frédéric Dorkel impose sa puissance évocatrice, impressionne par son sens du jeu et de la caméra. Rien n’est chiqué. J.-C. Hue a mis beaucoup de lui-même dans ce film contant le basculement entre l’ancien et le nouveau monde. Voilà du cinéma français qui ose sans se regarder et qu’on aimerait voir plus souvent.
Fort Buchanan de Benjamin Crotty. En bonus, un film un peu à l’opposé du film de Jean-Charles Hue. Cet artiste contemporain réalise son premier long-métrage empruntant autant à Rohmer qu’aux telenovelas brésiliennes. C’est déconcertant, intrigant et on ne sait toujours pas si ce second degré est snob ou pas.
Côté documentaires, le Grand Prix est revenu à Remine, el ultimo movimiento obrero de Marcos Martinez Merino. Ce réalisateur espagnol est parti avec sa famille, vivre dans la région minière des Asturies pour suivre, tel un entomologiste, le combat de mineurs. Il en ressort un film fort, dramatique et qui replace l’importance, toujours actuelle, des mouvements ouvriers dans les évolutions de nos sociétés.
Un bijou
La sélection Resistencias présentait onze films avec pour point commun d’avoir été faits en dehors des circuits traditionnels de production. Entre films de fictions et documentaires expérimentaux, cette sélection de films indépendants s’est révélée très inégale. Cependant, elle délivra un vrai petit joyau : Equy y n’otru tiempu. Le film de Ramon Lluis Bande célèbre la mémoire de guérilleros morts entre 1937 et 1951 dans les montagnes des Asturies. Par une succession de magnifiques plans fixes des lieux où ils ont été tués par l’armée franquiste, ce documentaire se transforme en un « monumentaire ». Le réalisateur cherche par cette rigueur formelle à ériger une sorte de monument aux morts à ces guérilleros, « passer du document au monument » au travers de ces images que seuls les sons et les mouvements de la nature viennent animer. Ramon Lluis Bande réussit à utiliser, dans sa plus grande simplicité, toute la puissante évocatrice du cinéma projetant la mémoire de ses résistants dans une forme d’éternité imaginaire mais bien réelle. On en ressort bouleversé. Le film était présenté à Séville en avant-première mondiale et reçut le prix Fipresci.
Glanures diverses
Deux films ont été particulièrement dérangeants (il y a même eu des défections dans la salle), In The Basement d’Ulrich Seidl et The Smell of Us de Larry Clark. Le premier évoque la face cachée de la société autrichienne en plongeant dans les sous-sols (“basement“) d’Autrichiens adorateurs d’Hitler, d’armes à feu ou de sadomasochisme. Tout cela filmé très frontalement et sans pudeur. Et sans surprise, le dernier film de Larry Clark ressemble à un film de Larry Clark, et même si on s’attend à être dérangé, il continue de mettre mal à l’aise. Cette fois, cela se passe à Paris et traite de la prostitution chez des adolescents.Dans la sélection officielle, à noter l’assez particulier Hungry Hearts de Saverio Costanzo. Commençant comme un film romantique indépendant new-yorkais autour de l’histoire d’amour d’une Italienne et d’un Américain, il bifurque ensuite à de nombreuses reprises, vers Polanski ou Argento pour finir par ne plus savoir vers où aller. Dommage. Les deux comédiens sont par contre fabuleux, Alba Rohrwacher (sœur de la réalisatrice Alice) dans le rôle de la mère sombrant dans une folie protectrice pour son bébé, et Adam Driver, que l’on connaît pour le rôle d’Adam dans la série Girls, qui joue le père essayant de sauver son bébé des bras de son épouse. Etouffant.
Une Fête
Le Festival de Séville intègre dans sa programmation une série de concerts qui ont lieu après les projections. Encore une fois, c’est une volonté de la part des organisateurs de faire de ce rendez-vous une fête et un lieu de rencontres pour spectateurs et invités. Une très bonne idée qui rend ce rendez-vous cinéphile de très belle qualité encore plus attachant.
Le film Something Must Break a remporté un Tigre d’Or au Festival du Film International de Rotterdam 2014, il est excellent, à l’esthétique baroque et différent des autres films traitant du même sujet.