Frost, de Sharunas Bartas

 

Voyage au bout de l’ennui

Frost, de Sharunas BartasVilnius, en Lituanie. Rokas se voit chargé d’une mission par un ami : apporter de l’aide humanitaire sur le front ukrainien, alors que gronde le conflit meurtrier entre Russes et séparatistes. Comme interdit, Rokas accepte, même si on ignore ses motivations exactes. Il propose à sa jeune compagne Inga, toute aussi expressive, de l’accompagner. Elle opine du chef mollement. Leur apathie ne les quittera jamais, qu’ils fassent l’inventaire du chargement de la camionnette (vêtements, chaussures, vivres, médicaments), qu’ils se mettent en route, qu’ils cherchent leur chemin ou rencontrent des journalistes. Parmi ces derniers, Vanessa Paradis, qui apparaît telle une chimère dans cette odyssée d’Ulysse sans remous. Au cours de cette soirée presque anachronique, on sirote du champagne, déguste du fromage tout en s’émouvant de la détresse humaine des victimes de la guerre qui s’éternise et du froid qui les étreint. On parle d’amour aussi, ou on le fait. Et Rokas et Inga de repartir sans sourires ni soupirs.

A ce stade du récit, plus d’1h30 se sera écoulée. 1h30 où l’ennui primera. Le sous-texte est pavé de bonnes intentions (secourir ceux qui en ont besoin, rapporter ce que l’on voit pour alerter l’opinion publique), mais la forme est aussi peu avenante qu’un épisode long format de l’inspecteur Derrick. On sort rarement de la fourgonnette où s’appesantit le silence (le couple ne sachant pas communiquer) et quand enfin les deux protagonistes s’en extirpent, c’est pour garder les lèvres serrées et le regard fuyant. Tant et si bien qu’on comprend de moins en moins leurs intentions. Que viennent-ils donc faire dans cette galère ? Eux-mêmes semblent l’ignorer. Mais dans le dernier tiers du film, tout à coup, alors que plane l’ombre de la mort, alors que le danger rôde, ils se réveillent enfin, s’animent, parlent, se touchent et parfois, nous touchent.

C’est dans ce dernier tiers que Sharunas Bartas trouve son sujet. Le film se fait plus politique avec le point de vue de soldats lors des différents check-points, de plus en plus dangereux. Mais surtout, il s’intéresse enfin à Rokas, solide comme un roc, en apparence au moins. Il ne desserre pas les dents mais serre enfin les poings, armé d’un courage qu’on ne lui soupçonnait pas. Au fur et à mesure qu’il approche de son but, il devient vivant, voire naît devant nous. De son portable, il se fait reporter amateur, il a envie de voir tout ceci de plus près, il s’anime littéralement, curieux de tout, de cette mort toute proche. Il lui faudra cet appel pour prendre goût à la vie. Et Frost de n’être plus la rencontre d’un homme face à son destin, mais celle d’un homme qui va vivre, enfin, réellement. Ulysse achève ainsi son odyssée. Longue, lente, mais prenante, au bout du chemin.

 
Frost de Sharunas Bartas, avec Andrzej Chyra, Lyja Maknaviciute, Vanessa Paradis… Lituanie, France, Ukraine, Pologne, 2017. Présenté à la 49e Quinzaine des réalisateurs.