Hippocrate, de Thomas Lilti

 

Hippocrate, de Thomas LiltiQui ?

Thomas Lilti a deux vies. Qui se rejoignent cette année dans Hippocrate. Le jour, il est médecin. Et sinon, il est scénariste et réalisateur. Outre ses courts-métrages réalisés pendant ses études, on a pu voir de lui Les Yeux bandés, un point de vue original, même si pas tout à fait abouti, sur le crime, porté par des acteurs discrets mais toujours surprenants (Jonathan Zaccaï, Lionel Abelanski). Il a aussi coécrit Télé Gaucho, le récit des aventures de Michel Leclerc à Télé Bocal, les utopies et les désillusions d’un gamin naïf et attachant, accompagné de la toujours délicieuse Sara Forestier.

Quoi ?

Avec Hippocrate, qui, comme son nom l’indique, évoque certainement un sujet personnel pour le réalisateur, Thomas Lilti pourrait bien réunir les qualités de ses premiers essais : la bonne idée de faire un pas de côté pour proposer un regard différent, un ton incisif, un humour efficace, une pointe de naïveté touchante, avec un casting de première classe pour donner chair et humanité à tout ça. On y verra Vincent Lacoste, peut-être enfin sorti des rôles d’ados boutonneux, faire son première stage d’interne en médecine dans le service de son père. Un parcours initiatique, avec pour guides Jacques Gamblin et Reda Kateb. Thomas Lilti, lui, arpentera peut-être la Croisette en se disant que Le Nom des gens, le deuxième film de Michel Leclerc, avec le même Jacques Gamblin, avait débuté sa belle carrière à la Semaine de la critique.

Résultat des courses ?

D’un point de vue artistique, Hippocrate n’est sûrement pas le film de l’année, et Vincent Lacoste ne se départ décidément pas de son rôle de grand benêt qui lui colle aux basques depuis Les Beaux Gosses. Pourtant, il faut voir cette plongée dans le coeur de l’hôpital, parce qu’elle en aborde tous les enjeux, plus ou moins profondément, avec une acuité rare. Le tout sans signer un film grossièrement militant, qui égrainerait les situations promptes à soulever les indignations. Thomas Lilti n’est certes pas Ken Loach, mais il réalise un film à la fois simple et complexe. Simple parce qu’il est abordable, sans ce jargon propre aux séries médicales qui veulent montrer qu’elles se sont vaguement renseigné sur le sujet (pas de « C’est un lupus ! » et autres maladies auto-immunes). Simple aussi parce que c’est à travers le regard d’un jeune interne, qui découvre l’hôpital en même temps que le spectateur qu’on pénètre cet univers parfois anxiogène, s’étonnant à la fois du comportement des patients (violents ou touchants), des subtilités du fonctionnement de l’institution, et de l’impact personnel que peut avoir l’exercice de la médecine sur ce grand gars encore naïf. La complexité vient du fait que malgré tous les thèmes abordés (l’ambiance de salle de garde, les relations entre médecins et infirmières, les responsabilités laissées aux internes, le statut des médecins étrangers, la gouvernance de l’hôpital, la gestion des lits, les erreurs médicales, la solitude du médecin face à la loi Leonetti sur la fin de vie…), Thomas Lilti ne verse pas dans le catalogue et humanise chacune de ces situations dans un ensemble étonnamment cohérent et fluide. On pardonnera le ressort dramatique final un peu artificiel, manière de se sortir de son histoire devenue un peu ingérable, parce que le réalisateur se repose sur ses acteurs, tous impressionnants de justesse. Du plus petit rôle d’infirmière aux deux premiers rôles – Vincent Lacoste et Reda Kateb –, duo a priori mal assorti, finalement complice et solidaire. A voir avant la présentation de la loi de santé publique, histoire de savoir de quoi on parle.

Hippocrate de Thomas Lilti, avec Vincent Lacoste, Reda Kateb, Jacques Gamblin, Marianne Denicourt… France, 2014. Présenté en clôture de la 53e Semaine de la critique. Sortie le 3 septembre 2014.