Eternel recommencement
Un couple, trois époques, la Chine qui se transforme sous nos yeux. Avec Les Eternels, Jia Zhang-ke reprend le dispositif d’Au-delà des montagnes, mais malheureusement sans le renouveler. Ici, on suit le parcours de Qiao – toujours impeccable Zhao Tao -, sa chute et sa reconstruction, autour d’une figure de la pègre locale, Bin, au gré de leurs amours, séparations et retrouvailles. A la première époque, au tournant des années 2000, on danse sur YMCA (bien moins significatif que le Go West d’Au-delà des montagnes) et règnent l’insouciance et le sentiment d’impunité. Après une séquence majestueuse qui voit la jeune femme prendre une telle assurance qu’elle l’envoie en prison, on retrouve Qiao cinq ans plus tard, pour le temps de la sobriété et de l’humilité. La mise en scène se met au pas, et la flamboyance de la première partie semble lointaine. Si le propos attendu du réalisateur sur son pays est resté jusqu’ici à la marge (une mine ferme, une centrale électrique prospère), il se fait plus frontal avec la volonté de réinsertion de Qiao, qui arnaque facilement les hommes d’affaires en misant sur leur concupiscence. Le manque d’opportunités qu’offre l’économie chinoise, si ce n’est la plus farfelue (en l’espèce, un site touristique dédié aux ovnis), est bien présent dans le discours d’un personnage de passage, mais c’est le retour de Qiao, dans la dernière partie du film, à ses premières activités qui en est la meilleure preuve. Nous voilà donc au point de départ, avec seulement plus d’aigreur et de lassitude. Au cours des dix-sept années sur lesquelles court le film, Jia Zhang-ke aura montré la beauté de paysages industriels changeants, des grands déserts traversés par des trains qui vont de plus en plus vite, d’un stade olympique en ruine. Mais il laisse ces évolutions à leur statut d’élément de décor et d’illustration, dans un arrière-plan un peu fourre-tout et beaucoup moins percutant que dans le film précédent qu’il semble poursuivre ici. La dernière époque du film, contemporaine, s’étire en longueur, avec des scènes à la limite du grotesque, où le manque de nouvelles choses à dire et à montrer sur la Chine d’aujourd’hui se fait criant. A la joliesse de la conclusion d’Au-delà des montagnes, succède donc l’amertume de personnages condamnés à se soutenir, faute d’avoir pu se réinventer.
Les Eternels (Ash is the Purest White), de Jia Zhang-ke, avec Zhao Tao et Liao Fan. Chine, 2018. En compétition du 71e Festival de Cannes.