Grotesque, monstrueuse, hilarante : la faune humaine qui s’agite dans Ma Loute est d’une truculence rare. D’autant plus sidérante que les bourgeois dégénérés, flics obèses et prolos anthropophages (!) qui la peuplent, nichent leurs aimables turpitudes dans la sublime baie de la Slack (nord de la France), pendant l’été 1910. Autant dire que le nouveau film (en costume, s’il vous plaît) de Bruno Dumont nous entraîne aux confins du réel. L’idée étant, comédie oblige, de nous tendre un miroir déformant. Méchamment.
Dans la foulée du P’tit Quinquin, précédent ouvrage (et grande réussite, déjà) du réalisateur ch’timi, c’est vrai. Mais en plus féroce, plus stylisé (Belle Epoque oblige) et plus ample, aussi. De fait, si Ma Loute renoue avec une enquête policière doublée d’une histoire d’amour (entre Ma Loute, fils de pêcheur, et une étrange Billie, fille d’une riche famille de Tourcoing), tout le monde, cette fois, en prend pour son grade. Pas d’hésitation, pas de frein, pas de quartier. Sus à la pesanteur (tandis que d’aucuns trépassent, d’autres s’envolent, si, si…) ! Sus à la bêtise (on n’est pas loin du cinéma muet parfois, avec ses gags et sa gestuelle) ! Et haro, incidemment, sur une poignée d’interdits : si cette satire est aussi forte, en effet, c’est parce qu’elle explore tous les travers de l’humanité. Jusqu’aux plus inavouables.
Double conséquence de ce jeu de massacre sur la Côte d’Opale ? D’abord, on rit face aux gesticulations ahuries des personnages et, partant, des comédiens (Juliette Binoche ose en faire des tonnes, elle est exceptionnelle… aux côtés d’une très subtile Valeria Bruni-Tedeschi et d’un Fabrice Luchini un peu plus mal à l’aise). Et, ensuite, on s’ébaubit face à la science du cadre et de la composition dont témoigne, ici, Bruno Dumont. Oui, vraiment, il est l’un, sinon LE, plus grand cinéaste « visuel » du septième art français !
De fait, quel que soit le registre choisi tout au long de sa singulière filmographie – tragédie mystique ou comédie surréaliste –, il n’oublie jamais que le cinéma est mouvement. Et que la nature dit l’homme. Profondément. L’ampleur esthétique de sa baie nordiste, brassée par des eaux plus ou moins sombres et foulée par des sots plus ou moins lucides, n’a donc d’égale que sa valeur métaphorique. Bien sûr. Entre beauté et infamie, voilà en somme un film qui circule, connaît bien des marées, agite bien des questions, et voit grand. Revigorant !
Ma Loute de Brunot Dumont, avec Juliette Binoche, Fabrice Luchini, Valeria Bruni-Tedeschi… France, Allemagne, 2016. Sortie le 13 mai 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes.