Il l’avait pourtant prévenue qu’il était le roi des connards. Elle, Tony (Emmanuelle Bercot), avocate, bien loin des mannequins filiformes avec qui Giorgio (Vincent Cassel) avait pris l’habitude de se maquer. Une fille normale. Un roi entouré de sa cour qui surprend, séduit, et mythonne à l’envi.
Mon roi s’ouvre sur des sommets enneigés. Pas de ligne d’horizon. Tony respire puis se jette sur la piste comme on se balancerait d’une fenêtre ou sous un train. Victime d’une rupture des ligaments croisés, elle part dans un centre de rééducation en bord de mer, pour réapprendre à marcher, au sens propre comme au sens figuré. Là-bas, elle se remémore par bribes son homme, son amant, son mari, le père de son enfant. Leur histoire.
Plonger dans un cercle fermé et l’explorer, c’est désormais la signature de Maïwenn. Après sa famille, les actrices et la police, c’est l’intimité d’un couple qu’elle pénètre. Leur rencontre, le premier coït, les éclats de rire et de voix, les malaises qui s’installent, la dégringolade… Mon roi n’est pas un drame domestique. Il décortique une relation toxique, venimeuse. Capture les baisers qui mordillent, puis mordent jusqu’au sang.
Car au-delà de l’amour qui blesse, de la passion qui déchire et du couple qui se délite, Mon roi se révèle le portrait d’un pervers narcissique qui casse tout sur son passage. Un homme qui souffle le chaud, le froid. Charmeur, flambeur, bavard, drôle, insupportable de légèreté et de cruauté… qu’il faut suivre, hors d’haleine, pour ne pas rester sur le carreau. Comme Tony, on est à la fois fasciné et désespéré. Et si Emmanuelle Bercot offre une interprétation dense de cette femme au bord de la crise de nerfs, Vincent Cassel très vite occupe tout l’écran, son personnage dévorant tout sur son passage, jusqu’à la santé physique et mentale de celle qu’il a décidé d’aimer. L’affrontement, certes déséquilibré, n’est jamais binaire. Les moments les plus brillants sont sans doute ceux des bascules, du passage de relais. Quand l’un prend le dessus sur l’autre. Même si évidemment, le dessus, c’est souvent Giorgio qui l’arrache.
Certains lèveront les yeux au ciel au motif que ces deux-là en font des tonnes et qu’une telle histoire n’est pas crédible. Que dans la vraie vie, on ne se parle pas ainsi. Qu’on ne se balance pas des sentences de comptoir pour rompre ou recoller les morceaux. Mais ce serait sans reconnaître que les histoires d’amour, quand elles sont passionnées font souvent dans le lyrisme, dans le trop-plein, dans le baroque même. Un lyrisme dont on ne se rend pas compte quand on a le nez dans le guidon, mais qui prête à faire sourire quand on en est témoin.
Et le rôle de témoin, c’est Louis Garrel – que l’on découvre très drôle dans ce film – qui le tient. Petit frère de Tony, il est discret, bienveillant, « en parade » comme on dit en gym. Balançant ses piques et ses remarques nonchalantes, il est la petite voix de Maïwenn qui nous murmure que la réalisatrice sait où elle veut en venir. Un objectif qu’elle atteint par une écriture très juste, une caméra vive et une superbe direction d’acteurs.
Maïwenn livre, comme à son habitude un film intimiste et généreux. Restant pour la première fois derrière la caméra, elle apparaît derrière chaque personnage. Si elle ne sauve jamais l’homme, le mari infidèle, roi de la nuit et des bobards, elle sauve tout au moins le père. Qu’il s’agisse de la construction du film ou des sentiments qu’il transporte : Maïwenn procède par touches. Et les défauts – comme cette métaphore filée de la reconstruction – deviennent touchants, sincères.
Mon roi de Maïwenn, avec Emmanuelle Bercot, Vincent Cassel, Louis Garrel… France, 2014. Présenté en compétition au 68e Festival de Cannes.