Pablo par Pablo
Comment retranscrire la vie de Pablo Neruda ? Voilà la question existentielle qu’a dû longuement se poser Pablo Larrain avant de commencer sa nouvelle adaptation de faits réels, après No et El Club. Par le biais d’un biopic traditionnel ? En y injectant de la fiction ? Et devait-il axer sur l’homme, le poète ou le sénateur ? Sur sa grandeur ou sa décadence ? Ses amours tumultueuses ou ses amitiés communistes ? S’attaquer à un tel monument ne s’improvise pas. Alors, c’est à un heureux mélange de chacun de ces ingrédients que l’on assiste dans Neruda. Pablo politique s’enflamme, Pablo poète déclame. Pablo aime (sa femme, certes, mais aussi toutes les autres). Pablo sème : ses vers à tout-va ; ses idées aussi, qui se répandent à travers le Chili ; ses poursuivants toujours en retard. Car c’est à un jeu du chat et de la souris que le grand homme se livre. Déchu, le voici en cavale, caché, grimé, en voiture, en bateau, par monts et par vaux, à cheval sous la neige. Et surtout, dans son ombre, de près et de loin, un commissaire fictif imbu de lui-même, grotesque et ambitieux, qui se rêverait autre chose qu’un personnage issu de l’imagination fertile du poète. Les deux personnages soliloquent, se répondent, s’interpellent, sans jamais se rencontrer réellement. Ils sont le clown blanc et le clown triste l’un de l’autre. Sans Pablo Neruda, point d’Oscar Peluchonneau.
En trait d’union entre les deux, Delia, l’épouse artiste, l’amoureuse, la sacrifiée. La fascinée, surtout. Par son Pablo version dramaturge, tandis qu’elle exècre les contradictions politiques de l’autre Pablo, coincé entre ses idéaux communistes et sa vie bourgeoise. Par Oscar, qui ne lâche rien et qu’elle essaie d’avertir de sa non-existence et de flatter : sans lui, la grandeur de l’exil volontaire de son compagnon n’aura aucune portée historique. Le réalisateur Pablo Larrain retrouve toute la verve ironique de No qui rendait hommage au peuple chilien brisant les chaînes de la dictature Pinochet. Pour ce faire, il s’adjoint trois talents singuliers : Gael Garcia Bernal tout en moustaches et qu’il retrouve pour la seconde fois, Luis Gnecco en Neruda plus vrai que nature et Mercedes Moran, sa femme charismatique. Si le film cède trop facilement aux sirènes de la farce au détriment de celles de l’histoire et de la poésie, la cavale au ralenti de Neruda avec Peluchonneau à ses trousses ne manque pas de saveur, ni d’admiration réciproque entre ces deux hommes poursuivis chacun par un idéal qui converge aux mêmes points : la renommée et la reconnaissance. Deux versions d’un même homme, deux points de vue si différents et pourtant si proches. C’est là toute l’originalité de ce Neruda qu’il ne serait Pablo de manquer !
Neruda de Pablo Larrain, avec Gael Garcia Bernal, Luis Gnecco, Mercedes Moran… Chili, 2016. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2016. Sortie le 4 janvier 2017.