Le terrorisme marxiste et la Suisse ne sont pas nécessairement liés par l’imaginaire collectif. La Confédération demeure pourtant la terre de Guillaume Tell, sorte de Che Guevara amateur de pommes, qui, avec d’autres, délivra les Helvètes de l’impérialisme germain pour créer l’une des plus vieilles démocraties au monde, connue aujourd’hui pour le secret de son chocolat et le bon goût de ses banques, et inversement.
Moins porté sur les tablettes que sur le capitalisme, Opération Libertad nous narre l’aventure de Luc, un quinqua embourgeoisé qui se remémore sa jeunesse. Etudiant en art dans les années 1970, il a frayé alors avec un groupuscule marxiste en pleine ascension, le GAR, plus ou moins dirigé par Guy, un jeune homme qui fustige sans cesse la société du Spectacle (ça vous rappelle un autre Guy ?).
Le GAR emploie Luc à la communication audiovisuelle. Armé d’une caméra vidéo premier cri, celui-ci accompagne la petite bande de communistes dans ses actions, et bientôt, dans un coup de grande ampleur. De cette option vient le dispositif de narration du film, basé donc sur ces vrais-faux rushs d’époque. Mais la mise en scène trouve également ici sa limite, dans la croyance suscitée par ces images, un peu trop lisses pour être vraiment considérées comme “prises sur le vif” ; l’intensité des événements décrits paraît presque incompatible avec le calme du preneur d’images.
Mais au-delà d’une cohérence à peine écornée, le métrage réussit le pari d’embrasser en même temps plusieurs problématiques. Il y a d’abord le marxisme d’action directe propre aux seventies, que d’autres films montrent, notamment La Bande à Baader et Carlos ces dernières années. Deux précédents qui, entre autres, s’appuyaient sur la “reconstitution”, une manière d’habiller la fiction que Nicolas Wadimoff a pris soin d’éviter via son esthétique documentaire. Du coup, la forme encadre le fond, concordant avec le relatif amateurisme d’un collectif marxiste issu d’une société occidentale entrant dans le vif du sujet de la lutte armée. Les moments de doute, les erreurs causées par le manque d’expérimentation et les questionnements sur le sens de la lutte surnagent sans fioriture, rendant compte de la complexité du combat clandestin.
Bien qu’inspiré de situations existantes, Opération Libertad diffère des autres métrages sur le sujet par l’humanité de ses personnages, assez finement incarnés par Laurent Capelluto, Stipe Erceg ou Antonio Buil, finalement éloignés des héros marxistes habituels par leur normalité. L’humour de certaines séquences, généré notamment par le décalage entre Luc derrière la caméra et les membres du GAR en pleine action (“Donc là, on va tuer un mec parce qu’il y a plus de place dans la voiture ?”), loin de ridiculiser la démarche terroriste, nous donne la mesure d’un sujet plus universel encore, à savoir les affres de la vie en communauté quand seule la cause relie les êtres, au-delà d’amitiés particulières. N’est-ce pas là le principe d’une Confédération ?
Opération Libertad, de Nicolas Wadimoff avec Laurent Capelluto, Stipe Erceg, Karine Guignard… France, Suisse, 2012. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2012.