Quand on a la chance de croiser le même comédien deux jours de suite sur les écrans de Gérardmer, on se dit qu’on tient là un fil rouge aussi ténu que précieux pour écrire une poignée de lignes sur deux films en compétition qui n’en méritaient pas tant. Second couteau solide abonné ces derniers temps au film de genre, Peter Stormare, car c’est de lui qu’il s’agit, balade sa grande carcasse et sa tronche de voyou nordique sur deux productions américano-canadiennes certes dispensables mais pas inintéressantes.
Tout d’abord, claustration et anticipation avec Rupture où une jeune femme vaillante, amatrice de sensations fortes mais arachnophobe se fait brutalement kidnapper par un groupe d’individus particulièrement organisés mais étrangement attentionnés à son égard. Un éprouvant voyage en camion plus tard, sa captivité se poursuit clouée à un cathéter et ceinturée à un brancard dans un laboratoire bunkerisé où elle n’est visiblement pas la seule à jouer les cobayes… Alors, abduction extraterrestre, complot gouvernemental, caméra cachée ou enterrement radical de vie de jeune fille ? Seul le Père Fouras le sait… La référence à Fort Boyard peut sembler farfelue, elle prend néanmoins tout son sens tant le jeu séculaire de Jacques Antoine pourrait être l’inspiration matricielle du film. Car, à l’instar du modus operandi qui a cours dans le fort charentais, la peur se décline dans Rupture en une série d’épreuves de confrontations physiques à caractère phobique (araignée, serpent, noyade, vertige…) que chaque détenu-candidat devra surmonter s’il veut avoir une chance de sortir indemne, mais plus le même, de cette mauvaise farce. Sans dévoiler le pot aux roses qui emporte l’intrigue nébuleuse sur les rives encombrées du fantastique à connotation eugéniste, on peut dire que Noomi Rapace, affutée comme jamais pour ramper comme une belette affolée dans les conduits d’aération, met toute sa puissance physique au service d’un escape game géographiquement au point dont la partie point & click et des effets de morphing délicieusement old school inspirés du jeu Maxi-tête laisseraient à désirer. Enfin, hormis quelques fulgurances, on peut se demander pourquoi Steven Shainberg, à qui l’on doit l’étonnant Fur : un portrait imaginaire de Diane Arbus, revient au cinéma après dix ans de silence avec un film de genre qui ne semble pas être totalement de son ressort. Quant à Peter Stormare, il est le Père Fouras…
Le lendemain, possession démoniaque et slasher transgressif avec Clown que l’on doit à Jon Watts, capitaine de reboot (quand c’est le second on dit biboot, briboot ou biroot ?) à la barre de Spiderman : Homecoming prochainement sur les écrans de la terre entière. L’histoire est celle d’un père de famille dévoué bien décidé à remplacer au pied levé le clown défaillant qui devait animer le goûter d’anniversaire de son fils. Pris au dépourvu mais plein de ressource, il découvre un costume providentiel dans le sous-sol d’une maison dont il assure la mise en vente. Mais une fois endossé, le déguisement festif, accessoires compris, devient une seconde peau impossible à retirer. Et le gentil papa de se transformer en clown démoniaque réclamant avec insistance son effroyable pitance de chair fraîche… La démonologie nordique n’épargne décidément pas les croyances des petits n’enfants : après le Père Noël sorti des glaces avec un gros besoin d’ultra-violence (Père Noël origines), voilà un nouvel ogre qui prouve que, comme dans le cochon où tout est bon, dans l’enfant tout est succulent ! Sauf les os, qu’il recrache systématiquement pour cause de perturbations gastriques. A ce stade, il est bon de souligner qu’aucun enfant mangé par le clown n’a souffert. Résultat, une dose de splatter à l’ancienne – les têtes explosent, les fluides corporels s’échappent et des petits os ensanglantés trainent un peu partout -, un zeste de répliques délicieusement absurdes – papy à son petit-fils : « Je crois qu’on va devoir tuer ton père » – et une dimension gentiment transgressive tout en prenant soin de ne jamais dépasser la double ligne rouge – notamment en jouant habilement du hors champ pour chaque plan d’éviscérations infantiles – Jon Watts fait le job en technicien futé et réussit un slasher nouvelle génération qui ne va pas nous empêcher de dormir sans pour autant nous endormir. Quant à Peter Stormare, lui seul sait comment tuer le clown.
Rupture de Steven Chainberg, avec Noomi Rapace, Michael Chiklis, Peter Stormare… Canada, Etats-Unis, 2016.
Clown de Jon Watts, avec Elizabeth Whitmere, Christian Distefano, Peter Stormare, Matthew Stefiuk, Tim Roth… Etats-Unis, Canada, 2014.