Samsara, de Ron Fricke

 

Samsara, de Ron FrickeIl est de ces films qui vous transportent dès le premier plan. Des œuvres dont la force est aussitôt évidente. Samsara est un film inclassable, pas un documentaire au sens strict du terme, pas une fiction. C’est une méditation sans paroles, où par la simple force du montage naissent des associations, des oppositions, un « non-récit » très « malickien » basé sur les impressions. En ce sens Samsara a quelque chose d’archaïque. On a l’impression d’être le témoin et le personnage d’une œuvre profondément pensée mais aussi libre et irréductible.

Mais commençons par les faits : tourné sur une période de cinq ans à travers 25 pays, Samsara a de quoi vous couper le souffle, la beauté de certains plans est saisissante, implacable. Selon le site officiel c’est un documentaire non-narratif ; pourquoi pas, on a juste envie d’appeler ça un poème. Le film traite des thèmes liés à son titre, le « Samsara » étant en gros le cycle des vies en souffrance avant d’atteindre le Nirvana. Le voyage inclut donc des sites aussi prestigieux que bien connus (Petra, La Mecque, Monument Valley) mais aussi des univers qui le sont beaucoup moins. Le tout filmé en 70 mm avec une infinie précision. Certains objecteront que tout ça a un côté Des Racines et des Ailes. Sauf qu’ici l’absence de commentaire n’impose pas une et unique lecture des plans. Il ne s’agit pas de « faire beau » mais d’être face à une beauté qui nous dépasse, d’être mis en situation avec l’incroyable complexité du monde et de la civilisation humaine ; le spectateur est invité à cogiter, à faire son propre chemin. Alors évidemment le film est plutôt orienté vers la « folie » du monde moderne, vers l’opposition entre moments de quiétude et ambiances contemporaines démesurées. C’est la « suite » du précédent film du réalisateur, Ron Fricke, Baraka (1992). Une œuvre dans la même veine, bien que Samsara soit plus focalisée sur les « gens ».

L’autre référence est bien sûr Koyaanisqatsi (1983), de Godfrey Reggio et filmé par Ron Fricke. Premier de son genre, le film bénéficie d’une musique originale de Philip Glass, c’est un chef-d’œuvre absolu, référence ultime en la matière pour ce genre de films. Pour en savoir plus sur les « autres » documentaires non-narratifs, il existe un site qui répertorie ces films avec la liste (presque) complète des lieux de tournages.

Samsara est une expérience hors norme, un voyage fabuleux entre stupeur et incompréhension. Dans un monde aussi aseptisé que le nôtre, c’est un film qui détonne dans le paysage cinématographique : ici, le spectateur est invité à se perdre, à se confronter, à s’oublier, à réfléchir. Chaque visionnage peut s’avérer différent, les sensations changent selon l’humeur qu’on « apporte ». Mais une chose demeure, dans ce cycle éternel et implacable, la sensation que nous vivons dans un monde qui menace de nous échapper à chaque instant, que la présence d’un chacun est infime et pourtant chargée de sens. On ne comprend rien de nouveau en sortant de Samsara, on est juste mis en face de l’écrasante responsabilité d’être là, ici et maintenant. Face au monde et dans le monde, impuissant et omniscient. Seuls avec nos questions, seuls à déterminer les multiples niveaux de lecture d’un film qui en appelle avec une infinie modestie à notre Humanité. Whatever that means

 
Samsara de Ron Fricke. Etats-Unis, 2011. Sortie le 27 mars 2013.