Variations sur un serpent de brume
Certains jours, au-dessus d’une vallée rocailleuse des Alpes suisses, les nuages s’enroulent au creux d’un col pour s’écouler ensuite entre les sommets. Se forme alors un torrent compact de brume grise et blanche dont la course jette une ombre sur toute la vallée. Le phénomène s’appelle le Serpent de Maloja.
Quelques centaines de mètres plus bas, dans le calme d’un chalet isolé de Sils Maria, Maria Enders (Juliette Binoche) se bat contre son propre serpent. La pièce Maloja Snakea fait d’elle une star vingt ans plus tôt, lorsqu’elle en a incarné la jeune héroïne Sigrid. Agée d’une quarantaine d’années, elle répète à présent difficilement le rôle d’Helena, la femme mûre que Sigrid pousse au suicide. Le premier rôle appartient à une Jo-Ann Ellis (Chloë Grace Moretz), chérie rebelle des réseaux sociaux, dont Maria n’a jamais entendu parler.
Refus malgré la signature en bas du contrat. Refus par le repli d’un corps épaissi, un sourire moqueur sous une chevelure rase, un geste dédaigneux de la main qu’elle jette à son assistante Valentine (Kristen Stewart), tout au long d’un huis clos à deux. Maria repousse les répliques d’Helena qui la rendent vieille et l’empêchent de rester la Sigrid fondatrice de sa vie d’adulte. Valentine insiste sur une lecture plus équilibrée. Des sentiers sinueux aux sommets à ciel ouvert, des soirées tamisées à St. Moritz au silence nocturne du chalet, l’été de Sils Maria prête son décor somptueux aux deux femmes qui jouent la pièce et leur relation, frôlant une mise en abyme de l’intrigue, le texte entre elles comme un miroir à deux faces.
Autour d’elles plane la présence attendue de cette moderne enfant Jo-Ann, adorée de Valentine et crainte de Maria, vue moqueuse et dépenaillée sur quelques vidéos qui parlent de conduite en état d’ivresse.
Olivier Assayas met en scène trois actrices puissantes pour trois personnages forts : Juliette Binoche assurée et touchante, Kristen Stewart énergique sur une palette réduite mais maîtrisée (s’offrant au détour du texte un clin d’œil conciliant à Twilight), et Chloë Grace Moretz fraîche et trouble. On regrette plusieurs longueurs et un dérapage hors sujet, mais l’on se perd avec plaisir dans leurs jeux de recherche à deux, où le réalisateur stylise ses deux thèmes centraux – le vieillissement et la difficulté d’être acteur – pour mieux sonder la profondeur de ces êtres et la teneur de leurs relations.
Le rythme est fluide, soutenu par une caméra souple, animé par la beauté des décors de montagnes et la richesse des touches de lumière. Sous les rayons d’un soleil pâle s’écoule le Serpent de brume : tumultueux sur fond de rock, triomphant sur Le Canon de Pachelbel. Et Juliette Binoche jette un brusque éclat de rire.
Sils Maria d’Olivier Assayas avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz… France, 2014. Sortie le 20 août 2014.
Ca me fait vraiment bizarre de voir aujourd’hui, que Juliette Binoche incarne des femmes mûres, voire des femmes cougar. Mon dieu que le temps passe vite. Cela dit elle est royale et incompable de subtilité dans ce rôle…