Sea, sex and no fun
Trois destins de femmes qui s’entrecroisent. Non, il ne s’agit pas du résumé du nouveau film de Desplechin ou de Téchiné. Ici, nous sommes au Moyen-Orient. En Iran, plus précisément où ces trois femmes sont loin d’avoir des préoccupations métaphysiques. Le mari de Pari est en prison et refuse de divorcer. Alors, cette jeune mère de famille en vient à se prostituer devant son fils. Sara vit chez ses beaux-parents où elle leur sert de manante, est enceinte et aimerait travailler. Mais son mari refuse. Donya vient de perdre sa virginité dans les toilettes d’une boîte de nuit et doit reconstituer son hymen avant son mariage la semaine suivante. Mais son amant d’un soir, Elias, étudiant et musicien sans le sou, n’a pas les moyens de l’aider.
Pour rendre compte de cette trinité dramatique, Ali Soozandeh a utilisé la technique de la rotoscopie. C’est-à-dire qu’il a filmé ses comédiens sur un fond vert et les a ensuite transformés en personnages animés qui s’amalgament à des décors dessinés. Le résultat est bluffant. Surtout, il permet de montrer l’impossible dans un pays où la religion est un carcan trop lourd à porter, où il est interdit aux femmes de s’émanciper sans un homme, où un couple qui se tient par la main sans être marié peut être emmené en prison, où l’on ne peut avoir un prêt dans une banque si l’on est étudiant, où la virginité avant le mariage est obligatoire… Ici, le film commence par une fellation dans un taxi avec un petit garçon qui s’oblige à regarder ailleurs, pour ne pas voir ce que sa mère est en train de prodiguer. Là, des pendaisons publiques. Là encore, une scène de sexe dans une discothèque. Ou ici, un ayatollah qui échange ses services de juge moral contre une partie de jambes en l’air peu délicate. Dans Tehran Taboo, on baise, on jure, on se drogue et on craint à tout instant d’être arrêté par la police pour un destin funeste. Tout le monde agit en cachette, comme dans une section parallèle, loin du regard des autorités qui n’hésitent pas elles-mêmes à briser les tabous et user des pires exactions.
Le film est pessimiste, sans espoir, sans échappatoire ou presque pour ses personnages. Teinté d’humour noir et d’un cynisme tellement assumé, Tehran Taboo nous rend admiratif de cette bravoure somptueuse d’Ali Soozandeh. Le réalisateur habite en Allemagne, lui permettant une telle liberté de ton. On a peine à imaginer la réaction des Iraniens devant un tel brûlot qui brise toutes les conventions. A coup sûr, le film n’y sera jamais projeté, ou alors sous le manteau. Raison de plus pour aller le voir en salles, comme un acte politique, pour que la création demeure sans contraintes. Sans tabou. Surtout venant de Téhéran.
Tehran Taboo d’Ali Soozandeh, avec Elmira Rafizadeh, Zar Amir Ebrahimi, Arash Marandi, Bilal Yasar… Allemagne, Autriche, 2017. Présenté à la 56e Semaine de la critique.