Alex vit avec ses parents, Anna et Bjorn, dans un petit village suédois. Alex a du mal à exprimer ses émotions, la faute à un père taiseux et bourru, incapable lui-même de dire à son rejeton qu’il l’aime. Après une dispute, Anna quitte Bjorn, puis c’est au tour d’Alex de quitter son ancien militaire de père. Devenu jeune adulte, Alex vit seul à Stockholm quand plusieurs attaques terroristes surviennent.
Voilà le pitch de The Unthinkable, premier long-métrage du collectif Crazy Pictures, rassemblement de cinq amis qui conservent le contrôle de leurs films en maîtrisant à la fois le scénario, la réalisation, le montage, les décors, la photo et les effets spéciaux. Au vu du résultat, leur mini-conglomérat alternatif affiche un insolent succès : The Unthinkable a tout d’une grosse production au budget conséquent, alors qu’il a coûté à peine 2 millions de dollars, en partie financés par crowdfunding. Au-delà de ce constat entrepreneurial, les qualités artistiques et formelles de The Unthinkable sont indéniables. Crazy Pictures soigne ses effets sonores et visuels, et installe une atmosphère de fin du monde dès les premières minutes, alors que le récit se concentre encore massivement sur la passion entre Alex et Eva. Leur histoire d’amour avortée constitue le fil rouge de The Unthinkable, même lorsque les menaces de guerre se font réelles. Le film suédois rappelle d’ailleurs quelques jolies œuvres du genre, et notamment Perfect Sense de David Mackenzie (2011).
Mais derrière la passion, The Unthinkable parle surtout de terrorisme. Ses racines suédoises le rendant assez unique et terrifiant ; alors qu’ailleurs dans le cinéma mondial, reflet de nos peurs oblige, le terrorisme aborde quasi systématiquement la religion islamique et l’embrigadement, les angoisses d’Europe du Nord, et particulièrement suédoises, sont tout autres : le peuple menaçant, aux portes du pays, est gouverné par Vladimir Poutine. Les thèses complotistes d’un des protagonistes du film, d’abord farfelues, se font de plus en plus réalistes au fur et à mesure que l’intrigue évolue. Les récentes intimidations russes envers la Suède, le rétablissement du service militaire obligatoire en 2017 et la distribution dans tout le pays de tracts en 2018 informant les habitants de la conduite à tenir en cas d’attaque, sont autant d’éléments qui permettent de mieux appréhender la portée politique de The Unthinkable. Histoire d’amour, film de guerre, manifeste politique : le premier long-métrage de Crazy Pictures est suffisamment dense pour promettre au collectif un bel avenir.
The Unthinkable (Den blomstertid nu kommer) de Crazy Pictures, avec Christoffer Nordenrot, Jesper Barkselius, Lisa Henni, Pia Halvorsen… Suède, 2018. Prix du jury, Prix de la critique et Prix du jury jeunes au 26e Festival du film fantastique de Gérardmer. Sortie DVD le 3 avril 2019.