Une place pour le bûcher !
Après « fumer tue », qui ne terrorise plus grand monde à force de le lire, « manger tue » semble être la nouvelle sentence définitive et universelle à la mode. Dix, voire cinquante degrés d’un coup sont franchis au trouillomètre. Finalement, moi qui voulais arrêter de fumer, je vais sans doute continuer, parce que si je « tabastoppe », sublime accroche néologiste et postmoderne d’une campagne anti-tabac late 80′s, je risque d’avoir très faim et là, il y a de gros risques en vue.
Tout çela n’étant qu’une affaire de dosage et de timing, j’ai trouvé la combinaison parfaite, la solution à l’équation : fumer encore et toujours un peu pour ne pas trop manger et ne pas mourir trop vite. Pour résumer, j’ai la condition physique de Sim (RIP) mais je suis vivant… pour l’instant.
A l’aune de ce terrible constat, j’affirme que je suis une victime sacrificielle et consentante. Je sacrifie du crédit-vitalité pour que les buralistes continuent d’égayer nos journées avec leur bonne humeur contagieuse, pour que les cigarettiers persistent à nous régaler les bronches, pour que l’industrie agroalimentaire poursuive sans relâche sa quête de l’idéal culinaire et enfin, je me sacrifie pour que les agriculteurs persévèrent dans la guerre sans merci qu’ils mènent si vaillamment contre les hordes arthropodes et ptérygotes. Je me mutile de précieuses heures de ma vie pour que tous ces braves gens puissent manger à leur faim. C’est beau, c’est noble, c’est généreux, et c’est aussi… cinématographique.
Quel que soit le genre du film, de la série A jusqu’à la Z, on rencontre pléthore de personnages de sacrifiés. Deux catégories se distinguent… Tout d’abord, comme moi, il y a les dévoués, les héros, ceux qui s’offrent en sacrifice pour le bien d’autrui. On pense à Bruce (1) qui se fait sauter le caisson pour sauver la planète…et Liv Tyler, au père Karras (2), qui se défenestre pour libérer Regan d’un avenir vomitif, à JC (Jim Caviezel (3)), le Boss, qui pendant deux heures et plus, se fait violemment scarifier pour nous soulager de nos péchés… Et la liste est encore vraiment très longue. Puis viennent les autres, les proies, les victimes de desseins qui les dépassent et qu’ils ignorent, les poissards naïfs, ceux qui se trouvent toujours au mauvais endroit au mauvais moment, comme le pauvre Laurent Lucas qui n’aurait jamais dû prendre une chambre à l’auberge Bartel (4), ou encore le fort peu sympathique sergent Neil Howie qui, submergé par sa foi et son sens du devoir, se rend sur l’île de Sumerisland pour enquêter sur la disparition d’une fillette et faire filer droit des autochtones plutôt frivoles… Peut-être qu’au jeu du « ciné-dropping », qui consiste à saupoudrer cette chronique cinéma de noms d’acteurs ou de rôles associés à des éléments de scénario ou de mise en scène sans jamais citer le titre du film, cette dernière référence vous échappe. Alors, récapitulons à la façon du Batman de Palaiseau (5) :
- un film anglais réalisé par Robin Hardy en 1973
- scénarisé par Anthony Shaffer, entre autres scénariste du Limier (6) de Mankiewicz
- interprété par Christopher Lee, Edward Woodward et Britt Ekland
- la traduction littérale française du titre est « l’homme en osier »…
Je suis, je suis… The Wicker Man !
Le vrai, l’unique, qui n’a rien à voir avec son dispensable remake de 2006, l’indigent navet éponyme platement réalisé par Neil LaBute et tristement interprété par Nicolas « Botox » Cage. Un véritable double dégénéré, totalement vidé de sa substance par les « body snatchers » (7) d’Hollywood qui n’y ont vu qu’un thriller ésotérico-horrifique de plus à cuisiner en sauce blockbuster. Après cette indispensable mise au point, j’affirme avec la force de Lou Ferigno (8), qui porte mieux la moumoute que Nick, que The Wicker Man est un film immense, méconnu du grand public et injustement catalogué comme bizarrerie fantastique des 70′s bonne pour le cinéma de minuit. Car ici, point de surnaturel, mais plutôt du « para-naturel » comme une façon différente d’envisager les choses de la vie. Morale chrétienne ou croyance païenne, sous le soleil de Sumerisland tout oppose le sergent Howie, rigide défenseur des valeurs chrétiennes, aux insulaires, panthéistes aux libres mœurs.
Au commencement il y avait… une lettre anonyme qui alerte la police de la mystérieuse disparition d’une fillette appartenant à la communauté d’une petite île imaginaire, léchée par les douces faveurs du Gulf Stream et située au large de l’archipel des îles britanniques. Le sergent Howie se rend sur place pour enquêter. Pris dans la nasse, Il y découvrira une communauté aux allures de secte dirigée par Lord Sumerisle, un étrange gourou qui règne en maître sur la vie insulaire…
Avant de s’attarder sur le fond, j’aimerais souligner la qualité formelle de The Wicker Man. Film kaléidoscope qui ose le mélange des genres où se succèdent, grâce à un montage au cordeau (dans la version director’s cut), des séquences de comédie musicale, de thriller ou à forte charge érotique. Sans avoir recours aux codes traditionnels et aux artifices du film de genre, il a durablement imprimé ma mémoire par l’étrangeté et la puissance évocatrice de ses choix visuels et sonores. Difficile de ne pas se souvenir, pêle-mêle, du chandelier à cinq doigts (allumés), de la danse lascive et topless de Britt Ekland (la veuve) frottant son popotin à la porte d’un Howie en chemise de nuit et en pleine résistance érotique, de l’ambiguïté narquoise des habitants, du grotesque maquillage féminin d’un Christopher Lee (Lord Sumerisle) halluciné, de l’inquiétant carnaval païen, source de drame à venir et prélude au sacrifice, de ces drôles de chansons qui rythment la vie scolaire des enfants, de cette vénéneuse ballade folk (intitulée « How Do ») entonnée par Britt Ekland toujours dans sa séquence « île de la tentation », du contraste entre Howie à son arrivée sur Sumerisland, hautain, au regard iceberg, prêt à évangéliser tout ce qui bouge et le misérable bougre terrorisé et implorant qui va être sacrifié comme une vulgaire chèvre dans une monstrueuse version païenne de l’arche de Noé.
A l’instar du Limier, dont il signa le script, Anthony Shaffer nous refait le coup de l’opposition mortelle entre deux hommes. Ici l’enjeu n’est pas une femme mais une société. Le combat s’engage entre, à ma gauche sergent Howie, le missionnaire évangéliste, cheveux blonds, teint laiteux, uniforme cintré, interprété tout en contrition bileuse par Edward Woodward et à ma gauche Lord Sumerisle, grand inquisiteur, Torquemada new age magistralement campé par Christopher Lee, qui a remisé son dentier au vestiaire de la Hammer (9) pour une superbe permanente de chez Maniatis. Le malheur pour le policier est qu’il ne joue pas à domicile. La lettre anonyme initiale n’était qu’un piège pour le jeter dans l’homme en osier. Ses imprécations, ses coups de menton et de crucifix n’y feront rien, il finira dans les flammes comme prévu et la communauté de Sumerisland retrouvera les faveurs agricoles perdues de Gaïa (10). De ce point de vue, le film pourrait apparaître comme féministe, rendant hommage au pouvoir matriciel des femmes, mais le scénario est bien plus retors. Il livre, en réalité, une charge violente contre ces communautés hippies en pleine expansion dans les années 1970, bâties sur des croyances fumeuses, qui sous couvert d’émancipation spirituelle collective et individuelle étaient tenues d’une main de fer, dans un gant en peau de mouton, par des gourous avant tout shootés au pouvoir. On peut légitimement douter de la sincérité spirituelle de Lord Sumerisle lorsqu’il se transforme en grand travelo inquisiteur pour apaiser les ventres affamés de ses ouailles crédules. De l’autre côté, la bonne morale chrétienne, incarnée par le déplaisant psycho-rigide sergent Howie, n’est pas non plus épargnée. Triste et réactionnaire, même si elle ne condamne plus au bûcher, elle aurait certainement trouvé le moyen de châtier cruellement ces femmes à la sexualité débridée, surtout la blonde lubrique, veuve dépoitraillée qui se frotte à la porte du soldat de Dieu. A ce stade, une petite note gossip pour détendre l’ambiance, cette sauvageonne jouée par Britt Ekland a longtemps été dans la vraie vie Madame Rod Stewart… Da ya think I’m sexy ? (11)
Ce film, émotionnellement confortable, n’inspire aucun affect. Personne à regretter, zéro empathie pour les personnages. Ni la bande de dégénérés vivant sur Sumerisland, gourou, playmate et enfants compris, ni cet odieux cul béni qui finit en souvlaki sur le mont Golgotha. Allez ouste ! Du balai… Reste une pièce cinématographique sèche comme un coup de trique à la réalisation spartiate mais à la mise en scène violemment inventive guidée par un scénario drôlement pervers.
The Wicker Man est un film libertaire et iconoclaste au regard nihiliste et goguenard, qui se méfie comme de la peste des dogmes en tout genre qu’ils soient religieux, moraux ou économiques. Hier comme aujourd’hui, les sacrifices humains sont pratiqués sans état d’âme par les gardiens du temple ou… du conseil d’administration. A Salem ou à Sumerisland, au Pôle emploi ou à l’hôpital, l’objectif est toujours le même, seule change la méthode, plus ou moins raffinée et subtile, pour faire monter chaque sacrifié sur son bûcher.
Et pour finir avec un grand sourire de Joker (de Gotham cette fois (12)) : faire rôtir un sale type dans un panier géant en compagnie du poulailler, de l’étable et du jardin, fallait y penser ! Wild is wild…
Dernières recommandations :
En DVD, préférer sans hésitation la version director’s cut à la version US écourtée, édulcorée et mal montée.
A écouter, la reprise délicate de “How Do” par Sneaker Pimps (13), extrait de l’album Becoming X (1997).
Les références, pour être sympa :
(1) Armageddon de Michael Bay (USA, 1997).
(2) L’Exorciste de William Friedkin (USA, 1973).
(3) La Passion du Christ de Mel Gibson (USA, 2003).
(4) Calvaire de Fabrice Du Welz (France, Belgique, Luxembourg, 2004).
(5) Julien Lepers et Questions pour un champion (France 3 since 1988), rapport à sa ressemblance avec Michael Keaton, l’interprète de Batman, notamment dans les deux films réalisés par Tim Burton.
(6) Le Limier de Joseph Mankiewicz (Grande-Bretagne, 1972).
(7) Référence à Invasion of the Body Snatchers (L’Invasion des profanateurs de sépultures) réalisé par Don Siegel en 1956. A noter un remake réalisé par Philip Kaufman en 1978 et une version alternative par Abel Ferrara en 1993.
(8) Ancien culturiste, célèbre pour avoir été l’interprète de l’incroyable Hulk dans la série TV éponyme (USA, 1977).
(9) Hammer Film Productions. Société de production anglaise célèbre pour ses films fantastiques et d’horreur des années 1950 à 1970, aujourd’hui référence du style « gothique ». Christopher Lee restera associé pour l’éternité au rôle du comte Dracula qu’il interpréta dans les multiples versions produites par la Hammer.
(10) Déesse Mère dans la mythologie grecque. Elle est la Terre, la Mère de tout ce qui est.
(11) Tube de Rod Stewart sorti en 1979. Selon Wikipedia, le single le plus vendu de l’histoire du rock (sic).
(12) La ville de Batman (superhéros) et du Joker (supervilain).
(13) Groupe électro anglais 90′s.
Franchement, cette paire de fesses ! Je dis chapeau…
C’est ce qui a plu à Rod !