Le Musée des merveilles, de Todd Haynes

 

Wonderstruck de Todd Haynes1927… Rose (Millicent Simmonds), sourde de naissance, vit avec son père, homme « respectable » et honteux d’être responsable d’un tel « handicap ». Un jour, la jeune fille s’enfuit pour New York dans l’espoir de rencontrer la célèbre actrice Lilian Mayhew (Julianne Moore). 1977… Ben (Oakes Fegley) vit avec sa tante et ses cousins après avoir perdu sa mère (Michelle Williams) et peu (pas) connu son père dont il ne lui reste que ce livre intitulé Wonderstruck (« émerveillé »). Egalement frappé de surdité suite à un accident, lui aussi décide de s’enfuir à New York, sur les traces de son paternel…

Après le mélodrame sirkien (Loin du paradis), le meta-portrait de l’insaisissable Bob Dylan (I’m Not There) et la beauté classique du miracle amoureux (Carol), Todd Haynes déroule sa nouvelle partition, adaptée du roman graphique de Brian Selznick, l’auteur de L’Invention de Hugo Cabret. Une émouvante fugue en deux mouvements en hommage à l’enfance, à ses mystères et ses émerveillements, à ses douleurs et ses incertitudes identitaires. Une ode à l’imagination aux accents spielbergiens.

Du double destin de ces deux enfants sourds, Todd Haynes et Brian Selznick en tirent une étonnante expérience sensorielle. Dans sa version littéraire, Selznick avait opté pour deux modes de récits différents pour figurer les destins respectifs de Rose et Ben. Aux passages en prose classique pour celui-ci répondaient les pages dessinées « muettes » (sans phylactères) pour celle-là. Un travail de forme auquel il fallait évidemment trouver un équivalent cinématographique : ce sera le noir et blanc du cinéma muet et le lyrisme orchestral pour les années 1920 de Rose, la couleur et les trépidations funky pour les années 1970 de Ben. Ainsi, au silence qu’impose la surdité, Todd Haynes choisit d’opposer une symphonie explosive de bruits ambiants, de sons imaginaires ou réels et de musique, omniprésente. Comme pour mieux retranscrire cette nouvelle façon (décuplée) d’appréhender le monde dès lors que l’un de nos sens se trouve altéré. Un luxuriant design sonore qui flirte parfois avec l’overdose mais qui confère toute sa puissance au film, entraînant sans cesse le spectateur d’une intrigue à l’autre. Car ce n’est pas tant le montage de la musique qui impressionne que la musique du montage, les deux fils narratifs et sonores s’entrelaçant de façon effrénée, d’abord, puis sur un rythme plus tranquille pour enfin se rejoindre. Et Todd Haynes de finir par nous donner à entendre le silence.

Emouvant, onirique, tendre et sucré, le film de Todd Haynes réveille nos rêves, sacralise l’enfance en en magnifiant les émotions (la peur du loup, l’appel de l’aventure), les lieux (librairie, cinéma, musée d’histoire naturelle) et certains des totems les plus éternels (les livres, les maquettes, les dioramas). Et dans son alternance de formes et de sons de donner lieu à un merveilleux jeu de perception, faisant de ce Musée des merveilles un pur objet de cinéma.

Le Musée des merveilles (Wonderstruck) de Todd Haynes, avec Millicent Simmonds, Oakes Fegley, Julianne Moore, Michelle Williams… Etats-Unis, 2017. En compétition au 70e Festival de Cannes. Sortie le 15 novembre 2017.