Cannes 2012 pour les nuls #2
Pendant parallèle – mais tout aussi prestigieux – à la compétition officielle, la sélection Un Certain Regard 2012, présidée cette année par Mr Orange aka Tim Roth, ne déroge pas à sa règle, à savoir la mise en perspective de projets singuliers, peut-être un tantinet plus aventureux que la programmation du théâtre Lumière.
Miss Lovely d’Ashim Ahluwalia
Qui ?
Jeune réalisateur indien, Ashim Ahluwalia représentera le cinéma de Bollywood à Cannes. Enfin, un Bollywood comme on n’en a encore jamais vu. Loin des clichés et des conventions. Celui qui a commencé à faire du cinéma en retravaillant les films amateurs réalisés par son grand-père dans les années 1950 (il en a fait son premier court-métrage The Dust en 1993) est devenu un des cinéastes les plus originaux de sa génération. Remarqué en 2005 au festivals de Toronto et de Berlin pour son premier long-métrage John et Jane, un documentaire aux airs de fiction – ou l’inverse – sur la fièvre consumériste à Mumbai, il reçut à cette occasion le prix du cinéma national indien en 2007. Un cinéma audacieux, entre tradition bollywoodienne et exploration avant-gardiste. Le monde de l’art contemporain s’intéresse d’ailleurs beaucoup à son travail. Ses courts-métrages ont été diffusés à la Tate Modern, au centre Pompidou et à la Biennale d’architecture de Venise.
Quoi ?
L’histoire de Miss Lovely se passe dans l’industrie cinématographique de Mumbai, dans les années 1980. Portant un regard sans concession sur le monde de Bollywood, le film suit deux frères, producteurs minables de films d’horreur, qui se lancent à la recherche de l’histoire la plus gore. Quant à Pinky (interprétée par une ancienne Miss Inde, Niharika Singh), jeune femme qui aspire à devenir actrice, elle va vite se retrouver plongée dans l’enfer du film porno. Bienvenue dans le monde merveilleux de Bollywood !
La Playa D.C. de Juan Andrés Arango
Qui ?
Colombien d’origine, canadien d’adoption, Juan Andrés Arango ne cesse de faire des va-et-vient entre ces deux pays pour parfaire son apprentissage du cinéma. Après un cursus à l’université de cinéma en Colombie qu’il clôt par la réalisation d’un film de fin d’études, Eloisa y las Nieves, il retourne au Canada pour travailler sur son second film, son premier long-métrage, La Playa D.C.. Une plongée réaliste au cœur d’une Bogota brutale et dangereuse qu’il réussit à faire financer par une aide du fonds colombien pour le développement cinématographique. Le film est par ailleurs retenu pour participer au Festival du cinéma en construction de San Sebastian.
Quoi ?
Tourné dans les quartiers populaires de Bogota, La Playa D.C. dépeint cette ville où s’installent aujourd’hui des réfugiés afro-colombiens en quête d’une vie meilleure. La chute est souvent rude quand ils sont contraints de devenir au mieux coiffeurs de rue, et au pire, dealers, à l’image de Tomas, le héros de cette fiction. Ce jeune a dû fuir son village à cause de la guerre et il se retrouve à Bogota, une ville de “Blancs” stigmatisante et violente. Le film raconte ses errances dans la capitale à la recherche de son frère Jairo.
Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch
Qui ?
Nabil Ayouch : avec Jilali Ferhati ou la réalisatrice Farida Benlyazid, ce réalisateur né à Paris incarne la dimension sociale du cinéma marocain des années 1990, une cinématographie hélas réputée alors pour ses conditions de production difficiles. Avec Mektoub et Whatever Lola Wants, Ayouch s’est approprié le thème du retour au pays et a fait connaître son cinéma aux milieux cinématographiques internationaux. C’est aussi le réalisateur qui a fait débuter Jamel Debbouze au cinéma, en 1992.
Quoi ?
Les Chevaux de Dieu semble rejoindre thématiquement Ali Zaoua prince de la rue, autre film d’Ayouch évoquant les petites gens des villes marocaines. Mais si le métrage de 2001 rendait compte d’une solidarité entre enfants de la balle, le cru 2012 s’annonce plus sombre, puisque à travers le destin de deux frères issus des bidonvilles de Sidi Moumen, Ayouch entend retracer le parcours qui les a menés au terrorisme et au sanglant attentat de Casablanca, en 2003.
Renoir de Gilles Bourdos
Qui ?
Un cadeau de Noël, L’Eternelle Idole, Relâche. C’est avec ces trois courts-métrages que Gilles Bourdos se lance à l’assaut du septième art, épaulé par son actrice fétiche Brigitte Catillon. Il convie d’ailleurs à nouveau sa muse pour signer ses deux premiers longs, Disparus en 1998 et Inquiétudes en 2003. Quatre ans plus tard, il adapte à l’écran le roman de Guillaume Musso Et après.
Quoi ?
C’est in extremis que Gilles Bourdos intègre ce Certain Regard 2012 avec son film Renoir, dans lequel le réalisateur revient avec liberté sur les dernières années de la vie du célèbre peintre. Incarné par Michel Bouquet, Auguste Renoir sent ses forces doucement l’abandonner. Il retrouve pourtant l’émoi et la frénésie de ses débuts avec l’« apparition » d’Andrée, une jeune fille belle et insaisissable. Elle devient son ultime inspiration. Mais lorsque Jean (Vincent Rottiers), le fils blessé, revient du front goûter à une convalescence bien méritée, il tombe lui aussi en admiration devant la jeune femme. Transporté par son énergie effrénée, Jean se décide à embrasser une carrière de cinéaste.
Trois mondes de Catherine Corsini
Qui ?
A Catherine Corsini, on doit la révélation de Karin Viard et Pierre-Loup Rajot dans La Nouvelle Eve. Elle paumée mais énergique, lui trop gentil et trop raisonnable. Eux amoureux illégitimes. C’était drôle, enlevé et émouvant. Depuis, variant les registres, du plus léger (Mariées mais pas trop) au plus sombre (La Répétition), elle n’a cessé de décortiquer les liens amoureux, entre pouvoir, ambition, orgueil et soumission, décelant chaque fois une vérité inexplorée chez ses acteurs.
Quoi ?
Changement de cap avec Trois mondes ? Un accident, un délit de fuite, un témoin, un coupable, une victime et une collatérale. On semble s’éloigner des atermoiements amoureux pour se concentrer sur des questions morales dans une ambiance de polar. Et avec les jeunes acteurs, Raphaël Personnaz, Clotilde Hesme et Arta Dobroshi, découverte, à Cannes déjà, dans Le Silence de Lorna, tout cela prend des airs de cure de jouvence et de renouveau pour Catherine Corsini.
Antiviral de Brandon Cronenberg
Qui ?
Brandon Cronenberg est totalement inconnu. Si ce n’est que son père se prénomme David, est également présent à Cannes avec Cosmopolis (en compétition), et figure parmi les plus grands noms du cinéma actuel. Ainsi, Brandon paraît subitement plus connu, plus sympa, et même plus talentueux. Car si le jeune réalisateur-scénariste a écouté ne serait-ce qu’une infime partie des conseils du paternel, nul doute que son premier film, Antiviral, va réserver quelques surprises.
Quoi ?
Antiviral, donc. L’histoire d’un jeune chercheur qui inocule à ses patients les pathologies de leurs stars préférées. Une histoire étrange, une réflexion sur la maladie et sur la célébrité : Brandon Cronenberg s’annonce aussi excentrique et créatif que son père.
Le Grand Soir de Benoît Delépine et Gustave Kervern
Qui ?
On ne présente plus le fameux duo Benoît Delépine / Gustave Kervern, auteurs et acteurs de Groland, réalisateurs de comédies sociales mordantes, surfant toujours sur l’actualité : Aaltra en 2004, Avida en 2006, Louise-Michel en 2008 et Mammuth en 2010. Si leur humour fait grincer des dents, il n’en est pas moins reconnu pour être aussi efficace qu’intelligent.
Quoi ?
Le Grand Soir, cinquième long-métrage du duo, met en scène Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel. Le premier incarne « le plus vieux punk à chien d’Europe », le second son frère, commercial déchu. Les deux hommes vont tardivement se retrouver dans la haine du système et lutter contre celui-ci. Mais quel est le lieu idéal de la révolution ? Le dernier endroit à la mode : les centres commerciaux. Il n’y a qu’à voir les premières images du film pour se convaincre de la forme olympique de Delépine et Kervern. Poelvoorde, crête dressée sur la tête, entraîne le naïf Dupontel vers la révolution, sur une célèbre musique de Didier Wampas. Le Grand Soir s’annonce jubilatoire.
Laurence Anyways de Xavier Dolan
Qui ?
Xavier Dolan est l’un des plus jeunes réalisateurs au monde aussi reconnu et incarne le chef de file d’une nouvelle génération de cinéastes québécois. Il fut d’abord acteur dans de nombreux spots publicitaires, séries télévisées et films puis à 20 ans seulement, il tourne son premier long-métrage J’ai tué ma mère, sélectionné en 2009 à la Quinzaine des réalisateurs. Il y explore des rapports violents entre une mère et son fils homosexuel et interprète lui-même le protagoniste. Un film très autobiographique, donc. L’année suivante c’est avec une comédie sur Les Amours imaginaires qu’il revient à Cannes, cette fois-ci dans la sélection Un Certain Regard, évoquant là encore, la question de l’homosexualité mais plus généralement les interprétations erronées et les fantasmes déçus de deux amis (un jeune homme homo et une jeune femme) épris du même éphèbe. Xavier Dolan oscille donc entre comédie et drame, avec une langue très écrite, proche parfois de l’écriture théâtrale, et c’est d’ailleurs, tel qu’il aime à le souligner, essentiellement du côté du théâtre (de Shakespeare à Jean-Marie Koltès), que le réalisateur va puiser son inspiration.
Quoi ?
Laurence Anyways, tourné en février 2011, est le troisième long-métrage de Xavier Dolan. Dans le rôle titre, on trouve l’acteur français Melvil Poupaud, dont la mère est incarnée par Nathalie Baye. Petite anecdote : le rôle principal fut d’abord tenu par Louis Garrel, qui, tyrannisé par le réalisateur, aurait quitté le plateau du jour au lendemain et mis fin à cette douloureuse collaboration. Laurence Anyways raconte l’histoire d’un homme qui souhaite devenir une femme. Il l’annonce à sa compagne tout en cherchant à la convaincre d’accepter son choix et de rester avec la nouvelle personne qu’il deviendra. Xavier Dolan a réussi à passer brillamment le cap difficile car attendu du deuxième film avec Les Amours imaginaires, réalisé dans les mêmes modestes moyens économiques que le premier ; à l’inverse, Laurence Anyways a bénéficié d’un grand soutien financier et on peut se demander comment cette nouvelle donne influera sur son œuvre. Ce long-métrage aura-t-il la même simplicité foudroyante, la même authenticité que la critique a reconnu chez Xavier Dolan ? Le film sera-t-il fait de cette « sueur » si chère au réalisateur ? Car la vraie question purement météorologique mais de grand intérêt, c’est : transpirerons-nous cette année à cannes ?
Después de Lucia de Michel Franco
Qui ?
Une formation à la New York Academy, quelques films publicitaires en guise de premiers pas, un court-métrage, Entre dos (2003), qui parcourt les festivals : Michel Franco n’est pas bien vieux lorsqu’il déboule sur la Croisette en 2009 avec son premier long Daniel y Ana dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. L’histoire vraie et tragique du kidnapping d’un frère et d’une sœur. Le réalisateur y abordait avec beaucoup de pudeur des sujets aussi sensibles tels que le viol, l’inceste et la pornographie clandestine.
Quoi ?
Michel Franco est de retour au Festival de Cannes avec son deuxième film, Después de Lucia, présenté cette année au Certain Regard. Un récit qui ne s’annonce pas encore des plus joyeux : Roberto est dépressif, miné par la perte de sa femme après un accident de voiture. Il décide alors d’aller s’installer à Mexico avec sa fille Alejandra, 15 ans. Un nouveau départ qui s’avère des plus délicats pour la jeune adolescente. Plus jolie, plus brillante, elle devient vite la cible de ses camarades de classe. Humiliée, harcelée moralement et sexuellement, Alejandra choisit pourtant de garder le secret, afin de ne pas accabler son père. La violence s’immisce peu à peu dans chaque recoin de son quotidien.
A perdre la raison de Joachim Lafosse
Qui ?
Joachim Lafosse est belge. C’est un peu le cinéaste de la troisième voie. Ni frère Dardenne, ni Benoît Poelvoorde. Doué et prolifique, avec ses quatre précédents films (Folie privée, Ca rend heureux, Nue propriété, Elève libre), il a déjà essaimé les festivals de Locarno, Venise, et Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs. Il ne joue pas dans la cour du réalisme dur, âpre et, avouons-le, souvent glauque. Ne goûte pas non plus la bonne blague et l’absurde. Mais quelque part entre les deux, il s’intéresse aux limites, celles que l’on se fixe, celles que l’on dépasse, et celles qu’on transgresse, plutôt à tort qu’à raison. En résulte un cinéma trouble et fascinant, qui décortique les complexes liens de la famille.
Quoi ?
A perdre la raison lance Joachim Lafosse dans la lignée de Jacques Audiard : un titre pris d’un extrait de chanson, comme De battre mon cœur s’est arrêté ; et le duo reformé de Niels Arestrup et Tahar Rahim, après Un prophète. On lui souhaite le même destin. Il s’inspire ici d’un fait divers qui a remué la Belgique en 2007, celui d’un quintuple infanticide. Et sent déjà le parfum de scandale, l’ex-mari de la mère meurtrière s’étant opposé au projet, criant à la récupération mercantile. On a du mal à croire que ce soient les intentions de Joachim Lafosse, qui semble filmer une détresse croissante, une perte des sens, jusqu’au-delà des limites.
Student de Darezhan Omirbaev
Qui ?
Darezhan Omirbaev… Un nom peu connu du grand public, un peu à l’image de ces terres dont il est originaire, celles d’Asie centrale. Du Kazakhstan, plus précisément. Ce nom, c’est pourtant celui d’un des réalisateurs les plus atypiques du cinéma mondial. Un réalisateur dont les films, au gré des festivals, ont très souvent créé l’émoi. Que ce soit à Locarno en 1991, avec son premier long-métrage Kairat, récompensé par un Léopard d’argent et le prix Fipresci. A Venise, en 1995, avec Kardiogramma, sélectionné en compétition officielle. Ou encore à Cannes, à deux reprises. Une première fois en 1998 avec Tueur à gages, récompensé par le prix Un Certain Regard-Fondation Gan, puis en 2001, avec La Route (pas celle de Kerouac…), qui figurait à nouveau dans la sélection officielle Un Certain Regard. Le cinéma de Darezhan Omirbaev est un cinéma sobre, aux lignes de dialogues épurées, aux cadres précis, à la photographie soignée et aux personnages guidés par leur destin.
Quoi ?
Pour sa troisième sélection dans le cadre du Certain Regard, Darezhan Omirbaev viendra cette année présenter son film Student, une adaptation audacieuse et personnelle du roman de Dostoïevski, Crime et châtiment. L’action se situe dans le Kazakhstan moderne. Désargenté et souffrant de solitude, un étudiant en philosophie s’efforce de survivre à sa condition. Exaspéré par une société coupée en deux, entre riches et pauvres, forts et faibles, il en arrive à envisager le pire et ira jusqu’à commettre un crime. Omirbaev reprend dans son long-métrage les grands thèmes qui traversent le roman russe : l’isolement, la souffrance, le remord, la culpabilité, la religion et la rédemption.
La Pirogue de Moussa Touré
Qui ?
Moussa Touré a fait ses armes comme technicien auprès de François Truffaut ou Bertrand Tavernier, avant de réaliser son premier film en 1991. Toubab Bi remporte de nombreux prix et révèle son réalisateur au-delà des frontières du Sénégal. Ses films suivants, TGV, 5 x 5 et Nosaltres, connaissent le même engouement (Nosaltres gagne notamment une mention spéciale au Festival panafricain du cinéma et de la télévision en 2007).
Quoi ?
A l’instar de Nosaltres, La Pirogue traite de l’immigration et de la peur de l’autre. Le nouveau film de Moussa Touré raconte l’histoire de Baye Laye, capitaine de pirogue, chargé d’emmener trente hommes en Espagne. Trente hommes qui ne parlent pas tous la même langue, qui n’ont parfois jamais vu la mer et qui avancent vers l’inconnu. Peu représenté dans les festivals, le cinéma d’Afrique noire réserve pourtant souvent d’agréables surprises : en 2010, Un homme qui crie, du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, avait obtenu le prix du Jury du 63e Festival de Cannes.
Elefante blanco de Pablo Trapero
Qui ?
Réalisateur de l’étonnant Mundo grua en 1999, chantre du nouveau cinéma argentin, scénariste et producteur, habitué de la Croisette – il y a déjà présenté El Bonaerense, Leonera et Carancho -, Pablo Trapero défend un cinéma audacieux et militant.
Quoi ?
Cette année, Pablo Trapero revient à Cannes avec deux films, tous deux au Certain Regard. D’abord le film collectif Sept jours à La Havane, puis cet Elefante blanco, l’histoire d’une communauté religieuse qui lutte contre la corruption dans la banlieue de Buenos Aires. Trapero avait déjà traité le sujet dans El Bonaerense, mais l’envisage ici sous un angle plus mystique. Dans le rôle des prêtres, Ricardo Darin (star argentine déjà vue dans Carancho) et notre Jérémie “Cloclo” Renier ; dans le rôle de la femme fatale, la magnifique Martina Gusman, muse et compagne de Pablo Trapero, qui illumine à elle seule n’importe quel film.
Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde
Qui ?
Sylvie Verheyde, rare sur grand écran, y a tout de même laissé quelques traces, entre Princesses, mélange iconoclaste de polar et de drame “paumé”, confrontant Emma de Caunes (qu’elle avait dirigée dans son premier métrage Un frère) à Jean-Hugues Anglade, et Stella, reconstitution de la vie d’une préadolescente dans les années 1970.
Quoi ?
Musset haut, Musset bas : peu plébiscité au cinéma, l’auteur de Lorenzaccio a été plus souvent évoqué pour sa liaison avec George Sand (Les Enfants du siècle de Diane Kurys) que transcrit à l’écran (ces dernières années, l’un des seuls exemples reste Il ne faut jurer de rien ! sur lequel on ne dira rien, de peur de jurer). Avec Confession d’un enfant du siècle, Verheyde rapproche les deux ambitions, l’œuvre adaptée restant l’une des plus autobiographiques de l’écrivain. Au casting, Pete Doherty et Charlotte Gainsbourg continuent l’une des particularités de la cinéaste, à savoir la direction de chanteur-acteur, à l’exemple de Benjamin Biolay, méconnaissable en patron de PMU bourru dans Stella. Et si la présence à l’affiche de l’ancien chanteur des Libertines et des Babyshambles fera sans doute beaucoup plus parler du film que les atermoiements amoureux de l’oncle Alfred, gageons que cet artiste francophile saura œuvrer à la redécouverte du patrimoine.
25 novembre 1970, le jour où Mishima a choisi son destin de Koji Wakamatsu
Qui ?
Dresser la liste des films de Koji Wakamatsu serait vain, tant ils sont nombreux et souvent invisibles de notre côté de la planète. Pourtant, Wakamatsu est le plus connu des cinéastes underground japonais : ancien yakuza, il débute sa carrière par le pinku eiga, dans lequel il voit immédiatement l’opportunité de développer des thèses politiques et anarchistes. Derrière une imagerie perverse et surréaliste, son regard critique sur le pouvoir en place donne une profondeur inattendue à ses films.
Quoi ?
Avec 25 novembre 1970, le jour où Mishima a choisi son destin, Koji Wakamatsu resserre encore le virage entamé avec United Red Army en 2008. Après avoir croqué en temps réel les faits divers et l’évolution politique du Japon pendant quarante ans, Wakamatsu s’attache à raviver les souvenirs morbides de l’histoire nippone : la prise du chalet d’Asama dans United Red Army, les conséquences de la Seconde Guerre mondiale dans Le Soldat dieu. 25 novembre 1970, le jour où Mishima a choisi son destin revient sur la tentative de putsch et le seppuku public de l’écrivain Yukio Mishima en 1970.
Mystery de Lou Ye
Qui ?
Lou Ye, né à Shanghai en 1965, fait partie de la « sixième génération » de réalisateurs chinois (avec jia Zhangke, Wang Chao, Zhang Yuan et Wang Xiaoshuai).
C’est le peintre de la passion amoureuse, qu’il place au centre de son œuvre et qu’il confronte souvent à l’histoire de son pays, et aux conflits sociaux. Lou Ye entame son parcours par Weekend Lover (prix Fassbinder au Festival de Mannheim), portrait d’une jeunesse sans repères à Shanghai ; mais c’est avec son deuxième long-métrage, Suzhou River, une histoire d’amour teintée d’onirisme tournée en caméra subjective qu’il se fait connaître auprès des Occidentaux. En Chine, le film n’a pas droit de sortie en salle. Le cinéaste enchaîne les paris ambitieux, défiant la censure et brisant les tabous imposés par la dictature chinoise. Il réalise Purple Butterfly, fresque consacrée au conflit sino-japonais des années 1930 (en compétition officielle cannoise en 2003) puis Une jeunesse chinoise autour des événements tragiques de la place Tian An Men, qui lui vaut une interdiction de tourner en Chine pendant cinq ans. Dès la fin de l’interdiction, Lou Ye fait coproduire son nouveau film Nuits d’ivresse printanière par des sociétés de Hong Kong et de France, échappant ainsi à la censure. Présenté au Festival de Cannes de 2009, il remporte le prix du scénario. Suit Love and Bruises, tourné à Paris avec la star Tahar Rahim et mettant à nouveau en scène une passion intense et violente entre une jeune étudiante chinoise et un jeune ouvrier.
Quoi ?
Mystery : une histoire d’adultère qui tourne au drame par la mort de la jeune amante, dont le corps sanglant est retrouvé sur le bord d’une autoroute. Un policier ambitieux prend en charge l’affaire ; il refuse de croire à un accident. Lou Ye déplace donc son champ de prédilection vers le polar. On attend avec impatience de voir comment il maniera le genre ; s’il reste prétexte à raconter des sentiments passionnels ou si le cinéaste saura se servir du suspense pour tenir d’une nouvelle et autre façon son public en haleine.
Les Bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin
Qui ?
Benh Zeitlin préfère le cinéma au hockey. C’est sûrement pour ça qu’il cofonde en 2004 Court 13, un collectif de réalisateurs indépendants, et déménage à La Nouvelle-Orléans pour tourner son premier court-métrage, Glory at Sea, ayant pour toile de fond l’ouragan Katrina.
Quoi ?
Les Bêtes du sud sauvage, son premier long, a quelque chose de Max et les Maximonstres, jusqu’à son titre original qui y fait directement écho (Beasts of the Southern Wild vs Where the Wild Things Are). Benh Zeitlin décrit lui-même son film comme un voyage fantastique dans une réalité alternative. Les Bêtes du sud sauvage suit l’odyssée d’une petite fille de 6 ans qui part à la recherche de sa mère alors que la nature reprend ses droits. En janvier 2012, le Festival de Sundance a décerné au film le Grand Prix du jury, et les critiques ont porté aux nues ce tout jeune réalisateur. Sa participation à Cannes est donc hautement attendue – encore plus qu’un match de hockey Canada / Suède.
Sept jours à La Havane de Benicio Del Toro, Pablo Trapero, Julio Medem, Elia Suleiman, Gaspar Noé, Juan Carlos Tabio, Laurent Cantet
Qui ?
Benicio Del Toro, c’est le Sean Penn latin. C’est le gangster maniéré dans Usual Suspects de Brian Singer, c’est le policier mexicain désabusé dans Traffic de Soderbergh. Réalisateur qu’il retrouvera quelques années plus tard pour donner vie dans un diptyque épique à la figure révolutionnaire du Che. C’est encore l’ex-taulard dans 21 grammes d’Alejandro Gonzalez Iñarritu.
Pablo Trapero, quant à lui, fait figure, avec Diego Lerman ou Lucrecia Martel, de chef de file de la Nouvelle Vague argentine. Habitué du festival cannois, il était déjà venu présenter El Bonaerense en 2002 (Un Certain Regard) et Leonera en 2008, sélectionné en compétition. Dans Carancho, son dernier film, le cinéaste confirmait son statut de cinéaste engagé, en dénonçant les déviances d’une société argentine aux institutions corrompues.
Avec Julio Medem, on retrouve un cinéma plus intimiste, poétique et parfois mystérieux (L’Ecureuil rouge, Les Amants du cercle polaire, Lucia et le sexe, Yo también…), souvent plus soucieux d’interroger les états d’âme de ses personnages que le monde dans lequel ils s’inscrivent.
Accoutumé au grand rendez-vous du cinéma international, le réalisateur palestinien Elia Suleiman se fait surtout connaître avec son Intervention divine, une critique ironique de l’absurdité de la situation géopolitique en Palestine présentée en compétition à Cannes en 2002 et récompensé du prix du Jury. Une compétition qu’il retrouve sept ans plus tard avec Le Temps qu’il reste, un récit en forme de carnet de route, celui d’une famille palestinienne vivant à Nazareth, de 1948 à nos jours. Deux œuvres représentatives d’un cinéma proche de celui d’un Tati ou d’un Keaton, dans lequel politique et esthétique apparaissent comme parfaitement indissociables.
“Choquer est un plaisir”… Trublion agité du septième art, Gaspar Noé a souvent défrayé la chronique et la Croisette par ses prises de positions artistiques souvent fracassantes, parfois arrogantes. Avec des films tels que Irréversible (qui avait scandalisé les festivaliers cannois en 2002) ou Enter the Void, sélectionné en compétition en 2010, le cinéaste déroule des thèmes de réflexion aussi sulfureux que la haine, la violence, la drogue, la sexualité ou la pornographie. Des réflexions auxquelles le spectateur n’est, non plus invité, mais forcé de prendre part. On est souvent pro ou anti-Noé, mais rarement entre les deux. Preuve d’une personnalité insolite et d’une œuvre déroutante.
Juan Carlos Tabio est l’une des figures incontournables du cinéma cubain, reconnu pour son cinéma critique, sarcastique et ironique mais toujours bienveillant. Il est notamment le coréalisateur, avec Tomás Gutiérrez Alea, de Fraise et chocolat en 1993, véritable vitrine du cinéma cubain. Une œuvre éminemment polémique de par le choix de sa thématique, l’homosexualité, qui s’était vue récompensée du prix spécial du Jury au Festival de Sundance en 1995.
Laurent Cantet, c’est notamment Ressources humaines, réalisé en 1999, un premier long-métrage de cinéma dans lequel le cinéaste entremêlait documentaire et fiction. Une œuvre largement saluée par la critique, récompensée par deux César, celui de la Meilleure première œuvre et du Meilleur jeune espoir pour Jalil Lespert, seul acteur professionnel au milieu d’un casting d’amateurs. Le réalisateur se voit consacré en 2008 avec Entre les murs, bien sûr, qui reçoit la récompense suprême au Festival de Cannes. Un docu-fiction, ou plus exactement une fiction documentaire adaptée à partir du roman éponyme de François Bégaudeau, dans lequel l’auteur évoquait ses souvenirs de professeur de français dans un collège dit “difficile”.
Quoi ?
Sept jours à La Havane, c’est donc sept chapitres, sept réalisateurs, sept regards, un pour chaque jour de la semaine. Un film construit en cadavre exquis porté par sept talents du cinéma international chargés de dérouler autant de récits. Des récits indépendants qui, mis bout à bout, rassemblés dans une trame commune constituent au final un instantané inédit de La Havane. Au fil des quartiers, des atmosphères, des générations, des classes sociales et des cultures, les réalisateurs entrecroisent leurs sensibilités, leurs parcours et leurs styles pour offrir un véritable portrait contemporain de la mythique capitale cubaine.