Revue de presse du jeudi 17 mai 2012

 

Tournage sur la plage de Cannes d'Anthony ZimmerBon. On est contents, hein, la politique, c’est cool et tout. Mais faudrait voir à laisser un peu de place à Cannes. Par exemple, dans Libé, qui ne fera pas de Libé des cinéastes cette année, en partie pour cause de politique, Cannes n’arrive que page 26. Sans une. Sans cahier spécial. Y a des traditions qui se perdent. « Sans doute n’est-ce qu’une impression stricto française, mais cette 65e édition de Cannes démarre très bizarrement », écrit d’ailleurs Didier Péron dans son édito. Ben on te le fait pas dire, Didier.

En fait, il dit ça parce que les deux premiers films présentés à Cannes sortent en salle, et ont donc été vus avant le Festival. Et donc, on est tout désynchronisé dans le timing cannois, et j’avoue aussi que pour la revue de presse, ça va pas être simple cette histoire. Ca commence d’ailleurs par un sentiment de déroute. De rouille et d’os, le film de Jacques Audiard, se passe à Antibes, près de Cannes. Mais, pour l’instant, il n’a été vu qu’à Paris. D’où j’écris ces lignes, tout en regardant TV Festival, en direct de Cannes, donc. Bref, on ne sait plus où on est, et c’est là qu’on lit la critique de Pierre Murat, dans Télérama. Il entame par ce sentiment d’être ailleurs. « Dans cette Amérique qu’Audiard poursuit de film en film comme un idéal, ou dans un continent lointain – l’Asie – dont il apprécie tant le cinéma. » Nous vlà bien. Antibes, Cannes, Paris, l’Amérique ou l’Asie… On sent Olivier Séguret, dans Libé, un peu dérouté lui aussi. Il évoque un film parfait, mais trop parfait. Avec « cette petite faute de goût qui ternit tout : c’est un chef-d’œuvre. » Un chef-d’œuvre qui n’en est pas un, précisément parce qu’il a tout fait pour en être un. Un film parfait, quoi. Mais en fait, la perfection, c’est chiant, non ?

Alors du coup, passons sur les bonnes blagues un peu pourries de la presse. Par exemple, Le Figaro, depuis qu’il est dans l’opposition, se prend pour Libération et se lance dans le jeu de mots, dans les titres, d’abord (« Les dents de l’amour », « Palme d’orque »), et dans la critique aussi : « Si les jambes restent intactes, le souffle, lui, est coupé. » Bon. Ils ont encore du chemin à faire. Il faut qu’ils écoutent les conseils de Soizick von Fessenheim, qui signe des billets quotidiens dans Libé, et pousse « un hurlement à défolier les palmiers, afin que certaines pignouferies soient évitées concernant la personne de mademoiselle Marion Cotillard. Pour qualifier son jeu, si on ne l’aime pas, on évitera : ‘Elle joue comme un pied.’ Et si le jury l’aime au point de lui attribuer un prix d’interprétation, espérons qu’il n’aura pas l’indélicatesse de lui parler de palme. » Mais Le Figaro pousse le sens de la blague jusque dans ses interviews. « On dit d’entrée de jeu à Tim Roth : ‘Don’t lie to me.’ Le clin d’œil à la série télé Lie to Me. » Heureusement qu’ils précisent le clin d’œil, hein. D’ailleurs, cette volonté de clarté se retrouve aussi dans les questions essentielles posées à Jacques Audiard, par Le Figaro, toujours, et à Marion Cotillard, par Le Monde : « D’où vient l’expression ‘T’es opé ?’ que répètent les deux personnages ? » Et « Comment fait-on, techniquement, pour jouer un personnage cul-de-jatte lorsque l’on a soi-même des jambes ? »

Plongés dans l’intense réflexion suscitée par ces interrogations, on ne sait plus que dire du fait que quand il était petit, Wes Anderson a joué une loutre (à lire dans le portrait de Libé) et que Yousry Nasrallah, réalisateur de Après la bataille, a perdu une valise avec tous ses vêtements (à lire également dans Libé). Si ce n’est que demain, on prend le train pour Cannes, et qu’on n’a toujours pas rempli sa valise de tous ses vêtements.

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