Festival d’Aubagne : rencontre avec Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu

 

Rencontre avec Mathias de Panafieu et Sonia GerbeaudAu 16e Festival international du film d’Aubagne, il y avait aussi une belle sélection de courts-métrages. Grand Écart s’est entretenu avec deux coréalisateurs, Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu, pour leur film d’animation Oripeaux, dans lequel une petite fille se soulève contre les hommes pour dénoncer les injustices qu’ils commettent. Un conte aux dimensions philosophiques, dans la finesse d’un univers aquarellé, graphiquement très réussi.

 
Vous présentez au Fifa votre premier court-métrage : Oripeaux. Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

Sonia : Nous avons eu un cursus assez atypique pour faire du film d’animation. Nous avons fait une école des Beaux-Arts, formation dans laquelle nous avons touché un peu à tout. Cependant, nous étions à l’école des Beaux-Arts de Poitiers, qui est l’une des seules écoles où il y a une spécialité film d’animation. L’école des Beaux-Arts n’est pas aussi professionnalisante et aussi technique qu’une école d’animation. On nous apprend à réfléchir à une démarche artistique, à une thématique. Le matériel est mis à disposition pour travailler, les professeurs sont aussi disponibles mais cela reste très libre comme approche. Nous n’avions pas à proprement parler de film de fin d’étude comme c’est le cas dans une école d’animation, où il est réalisé pour le présenter en festival. Dans une école des Beaux-Arts, il n’est pas un projet en soi, il reste un medium.

Une fois le diplôme en poche, vous êtes partis en voyage. Après avoir parcouru les routes du monde, vous rentrez en France et réalisez Oripeaux. Comment s’est construit ce projet ?

Mathias : Nous savions que nous voulions faire un film d’animation avant de partir. Nous en avions envie et c’est à mesure du voyage que le projet a pris forme. C’était assez évident. Et c’était aussi amusant de voir comment l’idée avait pris le même chemin que nous. Nous avons donc commencé à en parler pendant le voyage, et avons beaucoup écrit dessus. Et nous sommes rentrés dans l’idée de faire le film.
Sonia : Pour rebondir sur les Beaux-Arts, on nous apprend à faire un film de A à Z, sans équipe. Cela a été un vrai challenge de travailler à deux et ce premier film d’animation a été une formidable expérience.

Comment vous êtes-vous partagé le travail ?

Oripeaux, de Mathias de Panafieu et Sonia GerbeaudMathias : Le film s’est totalement fait à quatre mains. Nous avions chacun du mal à renoncer à l’une des étapes de création. Nous avions envie de fabriquer un film, en sachant tout ce que cela implique et pour cela, il fallait nous investir à tous les niveaux. Si par exemple, l’un était à la rédaction, l’autre réalisait la relecture, nous réajustions au besoin, échangions les rôles jusqu’à ce que nous soyons l’un et l’autre satisfaits.
Sonia : C’est quelque chose qui vient aussi des Beaux-Arts. Nous avons du mal à rester seulement des techniciens, nous avons tous les deux besoin d’être auteurs et c’est pour cela qu’il n’y a que Mathias et moi sur l’image. Il n’y a vraiment que pour le son que d’autres personnes sont intervenues. Pour le reste, tout a été écrit, réalisé, dessiné à deux.
Mathias : Techniquement, dans l’animation, nous avons fini par nous partager le travail pour la cohérence. Nous avons chacun travaillé sur les personnages ou les choses pour lesquels nous avions le plus d’affinités. Par exemple, j’ai aimé animer les coyotes tandis que Sonia s’est plutôt occupée du personnage de la fillette, préférant s’occuper des expressions.

Vous utilisez une technique d’animation traditionnelle qui est le dessin sur papier. C’est tout un univers aquarellé qui se déploie sous nos yeux. Les personnages ont la particularité d’évoluer dans des matières colorées mouvantes. C’est du plus bel effet…

Sonia : Oui, ils avancent dans des textures. Il faut dire, la couleur, c’est aussi un sacré défi que nous nous sommes lancés. Nous faisons beaucoup d’illustrations et avons plutôt l’habitude d’accorder de l’importance à la ligne. Dans les derniers mois du film, nous avons fait beaucoup de recherches à ce sujet et techniquement, cela devenait trop long d’aquareller chaque dessin, et la nuance pouvait être perdue. Nous voulions garder un esprit artisanal dans la fabrication du film, c’est ainsi que nous avons finalement choisi de travailler à partir de taches aquarellées. Nous les avons réalisées sur du papier, puis numérisées, ensuite c’est toute la recomposition sur logiciel qui a permis d’intégrer la couleur au dessin, sans rien perdre de cette dimension à la fois brute et naïve de l’image.

Pourquoi « Oripeaux » ?

Mathias : La polysémie du mot nous plaisait. Il y a plusieurs niveaux de lecture dans le film et ce qui est intéressant, c’est de les retrouver en amont dans le titre. Nous voulions que le film puisse s’adresser à des publics différents, adulte et enfant, et c’est super de voir ce que chacun y projette.
Sonia : Le film est passé dans beaucoup de festivals d’éducation à l’image. Les enfants perçoivent les différents niveaux de lecture, il ne s’arrêtent pas au conflit homme-animal. Ils sentent qu’il y a une dimension politique, même s’ils ont du mal à le formuler.
Mathias : Pour en revenir à la signification du titre, « oripeaux » peut être entendu au sens propre en tant que vêtement, ou peau, c’est d’ailleurs l’objet central du film. Au sens figuré, le terme évoque le besoin d’un déguisement, le temps d’un instant, pour se faire passer pour ce que l’on n’est pas.
Sonia : Ce qui est drôle, c’est que le mot « oripeaux » est arrivé au tout début du projet. Nous avons même presque tout construit autour de ce titre. Il nous est apparu instantanément et nous n’avons jamais voulu y retoucher.
Mathias : Les choses certaines, cela aide beaucoup dans la construction d’un film. Il y a cette scène où l’on voit les coyotes s’humaniser dans le bar. C’est pour nous le point nerveux, la colonne vertébrale du film, tout s’est bâti autour d’elle.
Sonia : Pour l’anecdote, nous roulions en Van sur des chemins paumés de Nouvelle-Zélande. Nous nous sommes retrouvés devant une vieille ferme encerclée de barbelés, sur lesquels étaient posées des peaux tannées. Et avec Mathias, on s’est posé la question : que feraient ces peaux si elles pouvaient prendre vie ? En quelque sorte, cette anecdote a déclenché Oripeaux.

Quelle idée se trame derrière le besoin de porter un déguisement ?

Mathias : Dans Oripeaux, des individus et communautés entrent en conflit. Il y a le conflit entre les hommes et les animaux, qui sous-tend lui-même le conflit entre le père et sa fille. A un moment donné, chacun se fait passer pour ce qu’il n’est pas, les coyotes s’humanisent, en se dressant sur leurs pattes, prennent des postures d’hommes tandis que la fille porte une peau de coyote. Il nous plaisait d’imaginer que les coyotes puissent aussi être, de façon imagée, un autre groupe d’hommes, une autre communauté, et que les hommes du village soient incapables de le percevoir. De la même manière, lorsque le père braque le fusil sur sa fille, il est incapable de la reconnaître sous la peau de coyote. C’est une illustration de l’aveuglement des hommes.

La forme d’Oripeaux s’apparente à celle d’un conte philosophique, délivrant un message humaniste…

Oripeaux, de Mathias de Panafieu et Sonia GerbeaudSonia : Il y a une notion de choix en arrière-plan. Malgré le fait que la fillette vive avec ces hommes, elle ne leur ressemble pas et se sent plus proche des animaux. Un drame éclate et parce qu’elle y voit une injustice, elle décide de partir pour aider les coyotes à se soulever et à s’émanciper. On retrouve aussi cette notion de choix et d’émancipation dans le retournement de situation, au moment où les coyotes se dressent sur leurs pattes. Ils montrent aux hommes qu’ils sont capables d’emprunter les mêmes gestes, de prendre les mêmes décisions. Mais ils le font d’une manière plus intelligente puisqu’ils lâchent les armes et repartent. Le personnage principal s’émancipe aussi, et nous voulions le ressentir dans le dessin même. C’est pourquoi elle paraît plus jeune au début du film et que petit à petit, une maturité apparaît dans les traits.
Mathias : La question du choix est vraiment centrale. Il faudrait toujours essayer de choisir ce qui nous paraît juste, et là en l’occurrence dans le film, c’est cette gamine qui rend compte de cette idée, sa vie telle qu’elle est ne lui convient pas, elle décide de changer les choses, et de signifier à son père et aux autres hommes que pour elle, les choses seront différentes.
Sonia : Nos voyages ont aussi nourri ce point de vue. Nous avons traversé beaucoup de pays pour nous apercevoir combien les pensées pouvaient être différentes et provoquer des conflits entre les populations.

Justement, vos voyages semblent avoir nourri votre film sous plusieurs aspects. Visuellement, y a-t-il des images que vous avez glanées et entreposées dans Oripeaux ?

Mathias : Oui, tout à fait. Outre le thème même du film, qui est la difficulté d’accepter l’autre, chose que l’on perçoit très bien en voyage, on retrouve des images un peu partout, que ce soit dans les paysages, les personnages, les ambiances, la musique…
Sonia : Pour rentrer dans les détails, ce sont les ciels de Patagonie, les maisons sur pilotis en bois de l’île de Chiloé, les forêts scandinaves… Tous les paysages que nous avons croisés nous ont beaucoup nourris. Nous sommes repartis en voyage après Oripeaux, cette fois-ci en Asie, pendant un an. Nous sommes en plein dans l’écriture d’un nouveau projet, et il aura forcément des airs d’Asie…
Mathias : Avant de réaliser Oripeaux, nous avions surtout passé du temps en Amérique du Sud et en Nouvelle-Zélande. Je suis aussi allé en Louisiane et on en retrouve les influences cajuns. Nous aimons beaucoup cet univers.
Sonia : Quelqu’un nous a fait remarquer qu’il y avait une sorte de croisement entre Délivrance de John Boorman et Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki dans Oripeaux. C’est assez vrai.

Concernant la composition musicale de Oripeaux, comment s’est articulée votre collaboration avec Nathanaël Bergèse ?

Sonia : Le son est arrivé assez tard, le film était pratiquement terminé lorsque nous avons commencé à travailler avec Nathanaël. C’est réellement la première fois que nous nous retrouvions à travailler avec un compositeur.
Mathias : Cela semblait logique que le son intervienne à la fin. Le travail d’animation avait pris un tel temps que nous avions besoin de voir à quoi cela ressemblerait, d’être vraiment sûr d’atteindre ce que l’on voulait en termes d’ambiance avant de commencer à travailler le son.

Aviez-vous musicalement des idées précises ?

Mathias : Nous écoutions beaucoup de musique cajun durant la création du film, des choses comme les frères Balfa ou des vieux groupes de Louisiane. Nous baignions dans cette musique en permanence. Quand nous avons commencé à travailler avec Nathanaël, nous lui avons donné tout ce qu’on associait à cette musique, et il s’en est inspiré pour composer la musique d’Oripeaux.
Sonia : C’était génial de travailler avec Nathanaël parce qu’il a bien compris l’univers cajun qu’on souhaitait. Et il a réussi à intégrer des instruments qui ne font pas partie de cette musique comme le oud, le glockenspiel, ce qui a donné un côté orientalisant à la musique. Notamment dans le passage du film où la fillette court dans la forêt, il s’y déploie un univers à la fois magique et inquiétant. Il y a aussi un gros travail de sound design qui donne une vraie âme aux coyotes. Nous avons également travaillé avec un bruiteur, c’était super de le voir faire. L’équipe du son était incroyable.
Mathias : Nous avions passé plusieurs mois à travailler à deux sur l’image et c’était incroyable de se retrouver d’un seul coup entourés de personnes pour nous aider. Cela engendre d’autres propositions, des idées qui ne nous seraient pas venus naturellement parce que le son n’est pas notre univers. Par exemple, Nathanaël a soumis l’idée d’utiliser les instruments joués par les hommes dans le film, pour l’ensemble de la composition musicale, afin de rester dans une unité d’ambiance.

Un tel film représente quelle quantité d’images ?

Sonia : 12 000 images ont été dessinées pour Oripeaux, sans compter les 5 000 dessins jetés à la poubelle… C’est pour cela que nous avons eu besoin de partir en voyage après le film. Et puis là, ça y est, nous avons déjà oublié à quel point c’était difficile, nous voulons nous y remettre…

 
Oripeaux de Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu. France, Belgique, 2014.