Son nom ne vous dit probablement encore rien mais notre petit doigt nous dit qu’Alexandre Landry ne va pas tarder à faire parler de lui dans les mois à venir. Héros impressionnant du film Gabrielle actuellement sur les écrans, le Québécois a déjà remporté deux prix d’interprétation. Les premiers d’une longue série. Ca valait bien une interview à l’autre bout du monde, chez nos cousins du Canada.
Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
J’ai passé une audition. Louise Archambault, la réalisatrice, avait d’abord essayé avec des personnes réellement déficientes mentalement, mais l’amour entre les personnages passait plus ou moins bien. Elle a alors décidé de mixer comédiens professionnels et amateurs et de fait, quand nous avons auditionné, elle ne nous a pas demandé si nous étions des professionnels ou non. Quand j’ai été choisi, il était nécessaire que je rencontre Gabrielle Marion-Rivard qui interprète le rôle-titre et pour qui le film avait été écrit. Notre alchimie étant primordiale, il fallait que nous nous voyions au plus vite. J’ai donc participé aux activités de l’école Les Muses [Centre des arts de la scène qui propose une formation à des artistes vivant une situation de handicap, ndlr] que l’on retrouve dans le film. J’ignorais alors que Louise nous observait discrètement et elle a constaté que ça collait totalement entre Gabrielle et moi.
Votre interprétation est saisissante en jeune homme simple d’esprit qui découvre le sentiment amoureux. On imagine que la préparation a dû être longue…
J’ai surtout pensé à un ami d’enfance qui était atteint du syndrome de Williams, celui avec lequel vit Gabrielle. Et j’ai passé un mois et demi dans cette école, entouré de garçons et de filles autistes, trisomiques ou atteints de différentes névroses. Ils m’ont été très inspirants. C’était moi l’étranger, à moi de m’inclure dans ce groupe si soudé.
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Comment s’est déroulé le tournage ?
Très simplement, même si, au début, il a fallu briser certaines habitudes pour tous ces comédiens non-professionnels. Ils regardaient tous la caméra. Nous devions trouver des subterfuges, improviser et aller parfois dans d’autres directions que ce qui était prévu, afin de nous adapter à eux. La fin du tournage a vraiment été très touchante, après tout ce temps passé ensemble.
Votre personnage et les autres pensionnaires de cette école très spéciale, participent à une chorale qui représente un peu leur ciment social. Vous saviez chanter auparavant ?
Absolument pas, contrairement à Gabrielle, qui, comme bon nombre de personnes atteintes du syndrome de Williams, a l’oreille absolue. Elle est très impressionnante, elle peut déterminer les notes de musique de tout ce qu’elle entend. Moi, j’ai dû avoir recours à un coach privé pour tenter de savoir chanter, ça a été beaucoup de travail, surtout que nous allions rencontrer Robert Charlebois qui est une immense star chez nous.
Ce tournage était-il difficile pour Gabrielle qui porte le film sur ses épaules ?
Non, car elle a de grandes aptitudes et une force incroyable en elle. Elle a une bonne mémoire et elle a très bien su jouer avec ses émotions. Son seul souci, comme dans le film, c’est un manque de coordination dans ses gestes et son rapport spatiotemporel qui n’est pas le même que le nôtre. Et elle n’a aucune notion d’argent, d’où le problème de l’indépendance de ces personnes, un des thèmes du film. Gabrielle et moi avons rapidement eu une relation de frère et sœur et nous avons développé une amitié forte, nous grandissions ensemble à travers le film. Je trouve qu’elle ressemble à un elfe, physiquement. Les personnes qui ont le syndrome de Williams ont une grande aptitude musicale et un physique particulier avec un nez retroussé, des oreilles un peu pointues et je crois que le mythe des elfes vient de l’observation de ces personnes.
Les amours et la sexualité des personnes handicapées sont encore taboues en France et très peu représentés artistiquement. Est-ce la même chose au Canada ?
Oui, malheureusement. C’est parce que Louise Archambault était tombée sous le charme de ces pensionnaires de l’école des Muses où elle est restée à les observer pendant un an et demi, à participer à leurs activités, qu’elle a eu envie de faire ce film. Ils l’ont inspirée. Les personnes atteintes d’un handicap ne sont pas mises en avant chez nous. Ce film était un enjeu complexe pour montrer qu’elles peuvent être libres d’aimer, pour provoquer une certaine ouverture d’esprit de la part du public. Et la plupart des spectateurs qui ont vu ce film accompagnés de personnes handicapées, nous ont remerciés. Ce film est hors norme, avec une fin ouverte, ne donnant pas réponse à tout.
Comment s’est déroulée la scène de la perte de virginité de Gabrielle ?
Gabrielle n’avait jamais expérimenté la sexualité. Nous avions amené sur le plateau un pénis en plastique et ça l’a beaucoup amusée. Louise a eu une approche très humaine pour aborder cette scène délicate. Elle nous a fait danser, nous rapprocher petit à petit, elle n’a rien brusqué et quand Gabrielle s’est retrouvée en situation de confort, nous avons tourné de manière très simple. Au final, ce ne fut pas plus difficile qu’une autre scène.
Autre scène impressionnante, celle du concert en plein air devant plusieurs milliers de spectateurs. Etait-ce dans des conditions de direct ?
Ce festival existe au Québec et il rencontre beaucoup de succès, mais là, il s’agissait d’une reconstitution. Malgré tout, il y avait tellement de technique à gérer, avec six caméras, des centaines de figurants, avec peu de prises, que ce fut comme si nous étions réellement dans les conditions d’un concert.
Vous avez déjà obtenu un prix d’interprétation pour ce rôle fort…
En fait, j’en ai eu deux ! Le premier, c’était le Valois du meilleur acteur au Festival d’Angoulême et le second, tout récemment, le prix Jean-Claude Jean du meilleur espoir au Festival de Dieppe. Les deux prix viennent de France, je trouve ça formidable ! Et Gabrielle concourt pour représenter le Canada aux Oscars pour le meilleur film étranger. Mais je ne cherche aucunement la reconnaissance avec les prix, je préfère être dans le travail. Je ne me sens pas attiré par un réalisateur en particulier, mais par un projet. Après, je ne nie pas que Gabrielle va m’apporter une certaine exposition. Nous verrons bien, je prends les choses comme elles viennent.
Vous avez d’autres cordes à votre arc, puisque vous réalisez et produisez une web-série…
Oui, ça s’appelle Changer le monde. Beaucoup de spectateurs nous suivent avec cette série. Nous nous sommes montés en collectif et le but est de défier les gens à faire de bonnes actions autour d’eux, dans la rue, dans un parc, etc. Vous pouvez nous retrouver sur www.facebook.com/unmondeachanger.