Rencontre avec Katia Lewkowicz

 

Affiche de Tiens toi droiteAvec Tiens-toi droite, son second long-métrage en tant que réalisatrice, la comédienne Katia Lewkowicz installe son univers à la fois tendre et absurde. Cette comédie déroutante et féminine ne nous a pas laissés indifférents et il était de notre devoir d’en savoir un petit peu plus…

Tiens-toi droite, on peut dire que c’est un univers chaotique qui finit par s’ordonner…

Le point de départ est forcément chaotique quand on parle de la féminité d’aujourd’hui… Je voulais montrer que c’est compliqué pour une femme de nos jours de travailler, s’occuper de ses enfants et de son foyer, avoir des projets, tout en étant dépositaire de l’héritage de sa propre mère… Ca crée du chaos dans lequel on essaie de se frayer un chemin. C’est déjà bouillonnant quand on naît, ça ne fait que s’amplifier et dans tout ceci, il faut trouver sa voie.

Vous êtes comédienne au départ, comment en êtes-vous venue à la réalisation ?

C’était à une période où je jouais beaucoup au théâtre et j’avais rencontré Benjamin Biolay tout à fait par hasard. Je trouvais que dans la vie, il était un vrai personnage de cinéma, tout à fait atypique et quand Canal Plus a proposé de produire des courts-métrages écrits pour un chanteur, j’ai tout de suite pensé à Benjamin. Je le trouvais en dehors du réel. Après ce court-métrage, C’est pour quand ?, je lui ai écrit un long : Pourquoi tu pleures ?

Est-ce que la réalisation a changé quelque chose dans votre jeu, dans vos rapports avec les réalisateurs avec qui vous travaillez ?

Totalement ! J’ai compris à quel point il faut savoir s’abandonner sur un plateau et faire vivre ce projet qui appartient finalement au réalisateur. En fait, réaliser ne m’a plus donné envie d’être comédienne. Je ne veux plus courir les castings. Ou alors, ce sera pour des projets forts et intéressants. J’ai plutôt envie de jouer au théâtre et pourquoi pas de mettre en scène des pièces. A la base d’ailleurs, je viens du Conservatoire où j’étudiais des textes plus classiques.

Comment est née l’idée de Tiens-toi droite ?

D’une sensation que je voulais partager. Celle de voir représentées trois femmes d’aujourd’hui qui se battaient en moi, comment elles le feraient dans la vie, tout en désirs différents et en contradictions. Ces trois femmes se juxtaposent, se chassent et collent au plus près de cette sensation initiale.

Duquel des trois personnages vous sentez-vous la plus proche ?

Marina Foïs dans Tiens-toi droiteJe suis les trois. Mais je me sens tout de même plus proche de Louise [interprétée par Marina Foïs, ndlr] dans sa volonté d’être mère, mais surtout de travailler et de se prouver qu’elle peut tout maîtriser. Je comprends la pression qu’elle s’inflige.

L’homme semble d’ailleurs en retrait pendant tout le film…

Les trois héroïnes sont obsédées par leur propre quête, ce qui fait qu’elles ne voient plus les hommes qui les entourent et qui pourraient les aider. Mais ces hommes en question les laissent faire, pour qu’elles puissent avoir leur place à elles dans la société.

Aviez-vous pensé à Marina Foïs, Laura Smet et Noémie Lvovsky de suite ?

Non. J’ai écrit ce film en me concentrant sur ce que je voulais montrer. Mais je connais Marina Foïs et quand je lui ai fait lire le scénario, elle m’a dit de suite qu’elle voulait être Louise. Pour Noémie Lvovsky, c’était évident pour beaucoup que ce soit elle et Laura Smet, c’était une idée du producteur. Elle a accepté car pour elle, ce rôle fusionnait avec ce qu’elle avait pu vivre de son côté.

Il y a du rire, mais surtout beaucoup d’émotion dans votre film…

Tiens-toi droiteOui, j’aime le recul comique dans le drame. La comédie permet de se sauver de la tragédie. Je m’efforce aussi dans la vie de vivre de manière plus légère.

Il y a aussi cette scène très troublante avec des petites filles qui aguichent le seul garçon de leur classe. Quelles réactions vouliez-vous créer avec cette scène ?

En tout cas, les petites se sont éclatées à le faire et elles avaient été choisies notamment parce qu’elles avaient une personnalité très forte. Je voulais être observatrice de cet état des lieux, montrer le côté dérangeant qu’il y a actuellement dans l’hypersexualité de nos filles. Les petites filles d’aujourd’hui veulent devenir des adultes, sur des critères archaïques. Par exemple, certaines demandent des fers à repasser à Noël. Elles sont dans la séduction des garçons qui deviennent des proies. On voit des choses incroyables sur Internet et c’est angoissant pour les parents. Mais avec les trois héroïnes et ces petites filles mises côte à côte, on arrive ici à une sorte de cartographie de la féminité d’aujourd’hui.

En parlant d’Internet, vous avez créé un Tumblr « Tiens-toi droite ». Pourquoi ?

Laura Smet dans Tiens-toi droiteCette idée est venue après une discussion avec Giulia Foïs, la sœur de Marina, qui est journaliste. Elle m’a suggéré de faire ce Tumblr. Je trouve ça dingue que ça ait fonctionné aussi bien. Le film passe en second plan, mais ce qui compte, c’est que les gens se soient approprié l’idée aussi rapidement et aussi bien !

Vous semblez fascinée par les rapports mère-fille…

Oui, car c’est très singulier. J’ai moi-même deux filles. On vieillit quand l’autre grandit, on est des miroirs, mais pour la fille, il faut tuer la mère pour exister, tout en la gardant comme référent… C’est une relation compliquée, très violente. La mère oublie sa sexualité et elle se trouve confrontée à celle de sa fille qui veut en avoir accès…

Vous parlez de votre film comme d’un ovni. N’est-ce pas difficile à produire et à vendre ?

Si ! Mais j’ai des producteurs géniaux qui ont décidé que ce projet existerait et ils se sont bien battus pour ça, pour que dans le cinéma français, il y ait aussi de la place pour des objets singuliers.

Quels sont les réalisateurs de votre panthéon ?
Tout en haut, on trouve Louis de Funès. Mais il y a aussi Woody Allen, Cassavetes, Fellini, Scorsese… J’aime les réalisateurs qui ont un véritable point de vue.

 
Tiens-toi droite de Katia Lewkowicz, avec Marina Foïs, Laura Smet, Noémie Lvovsky, Jonathan Zaccaï… France, 2014. Sortie le 26 novembre 2014.