L’Inconnu du lac avait un peu bousculé le dernier Festival de Cannes, récompensé du Prix de la Mise en scène à Un Certain Regard. Depuis, le film a rencontré succès public et critique, s’invite dans les festivals internationaux et va bientôt sortir en DVD. Rencontre avec Pierre Deladonchamps qui interprète Franck, le personnage principal, un de ces rôles suffisamment forts pour bâtir une belle et longue carrière.
Connaissiez-vous le cinéma très particulier d’Alain Guiraudie avant d’accepter ce rôle ?
J’avais uniquement vu Le Roi de l’évasion. J’avais adoré ce film qui était un ovni dans le cinéma français. C’est plus tard durant les différentes étapes du casting et des répétitions qui ont suivi, que j’ai pu voir tous les autres films d’Alain. J’ai énormément aimé Ce vieux rêve qui bouge et Les héros sont immortels.
Quelles indications vous a-t-il données pour interpréter Franck ?
Le maître-mot, je crois, c’était la simplicité, le naturel. Alain ne voulait pas de “performance” d’acteur mais se rapprocher au plus près de la sincérité, ce qui me convenait tout à fait. Il n’aime pas quand cela se voit trop, qu’un acteur joue. D’ailleurs, il lui est souvent arrivé de caster des non-professionnels pour ses précédents films. Nous avons abordé les scènes-clés de manière détendue. Nous avons pas mal répété et ça nous a aidés au moment du tournage. Il faut dire aussi que je me suis vraiment très bien entendu avec les deux autres rôles principaux, Christophe Paou et Patrick d’Assumçao. Le travail était fluide, et nous avions à peu de chose près la même manière d’aborder les scènes.
Aujourd’hui encore, de nombreux comédiens n’osent pas interpréter un personnage gay, surtout en début de carrière, de peur d’être cantonné à ce genre de rôle par la suite. Avez-vous longuement réfléchi avant d’accepter ce film ?
C’est une question que l’on me pose beaucoup… Elle est légitime, mais je pense que cela ne sera plus un problème pour les acteurs si d’autres prouvent que ce n’est pas un frein à nos carrières. C’est vraiment amusant de voir à quel point l’homosexualité d’un personnage (uniquement les hommes, d’ailleurs) est de suite rattachée à la propre sexualité du comédien. On ne se pose jamais la question pour des rôles autrement plus marquants. C’est notre métier de justement se mettre dans la peau de tous types de personnages. Et c’est ça qui est plaisant dans le métier d’acteur, vivre des morceaux de vie et des choses qui ne nous seraient pas arrivées sans cela. Donc non je n’ai pas réfléchi avant d’accepter de jouer ce rôle, en tout cas pas vis-à-vis de l’homosexualité du personnage. Les scènes de sexe frontal et non simulées, oui cela m’a posé problème et j’ai demandé à ce qu’elles soient jouées par des doublures.
Marie Trintignant disait que lors du tournage de Nuit d’été en ville, il lui était difficile, en rentrant chez elle, d’allumer la lumière et de regarder son corps après avoir joué nue toute la journée. Est-ce quelque chose qui vous a également interpellé lors du tournage de L’Inconnu du lac ?
Absolument pas. Dès le début du tournage, j’ai décidé de ne pas me préoccuper du fait d’être filmé nu. Je me suis “programmé” pour ne pas y penser, ne pas tenter de contrôler quoi que ce soit ou de n’accepter d’être filmé que comme ci ou comme ça. Mon corps est comme il est, j’aimerais parfois qu’il soit différent sur certains points, mais je ne le déteste pas. Pour tout vous dire, je n’ai même pas voulu faire de la muscu pour tenter de le rendre plus beau. Franck est un mec lambda qui n’est ni bien, ni mal foutu. Ca tombe bien, moi aussi !
Comment avez-vous envisagé les scènes d’amour, qui sont explicites ?
Les scènes d’étreintes et de simulation sexuelle, nous les avions répétées en amont, parfois même chorégraphiées. Nous avions d’une part la contrainte de l’axe de la caméra, et puis aussi le souhait d’une certaine fluidité, sans pour autant en faire des scènes parfaites. Dans la vie quand on fait l’amour, on est parfois un peu gauche, on hésite, on est mal installé, etc. On a voulu garder cette authenticité. Pour ce qui est du jeu en lui-même, on n’a pas trop réfléchi, on s’est lancés dans le vide, mais pas sans filet. On savait qu’on pouvait interrompre à tout moment si l’on avait un problème. Et puis Alain ne nous a pas essorés de dizaines de prises à chaque fois, donc nous étions concentrés. Et comme je vous l’ai dit, nous avons été doublés pour le sexe frontal et consultés à l’issue du montage pour que l’on donne notre aval à ces inserts. Nous n’avons pas touché à un seul plan de ces scènes, car Alain les avait parfaitement intégrées et puis finalement, il n’y en a eu que deux… C’est beaucoup moins que ce qui était prévu initialement, mais je pense que c’est finalement mieux ainsi.
Votre regard a-t-il changé sur la communauté gay depuis le tournage ? On ne peut pas dire qu’Alain Guiraudie en livre ici une vision optimiste, renforçant une image de sexe facile et vite consommé qui est souvent mise en avant dans les films sur le sujet…
Le cinéma d’Alain n’est pas un cinéma militant. Il n’essaie pas ici ou là de donner une bonne image de l’homosexualité. Et je crois qu’il a raison. Certes il faut combattre l’homophobie comme toutes les autres discriminations. Mais cela ne doit pas être une raison pour ne raconter que des histoires mignonnes avec des gentils homosexuels qui donnent une bonne image… Le rôle du cinéma est de raconter toutes les réalités. Pas seulement celles qui sont belles à voir. Par ailleurs, je trouve réducteur de penser qu’une communauté n’est perçue par l’opinion qu’à travers des films qui la concernent. Cela peut y participer, mais L’Inconnu du lac est d’abord une fiction qui n’a pas la prétention d’être une vitrine exhaustive des comportements des homos… Mais ces comportements existent. Alain les montre, sans jugement, avec tendresse parfois. Pensez-vous que puisque cela peut choquer certaines personnes, il aurait dû s’interdire de le faire ? Et puis je ne suis pas d’accord avec vous, il y a beaucoup de films sur l’homosexualité qui ne mettent pas en avant le sexe facile et vite consommé. Je trouve au contraire qu’on nous montre de plus en plus de films où l’homosexualité n’est pas le sujet principal du film mais en fait partie intégrante, sans vouloir orienter l’opinion du public.
Qu’avez-vous pensé de la polémique qui a eu lieu autour de l’affiche du film, interdite dans certaines villes d’Ile-de-France ?
Interdite dans deux villes d’Ile-de-France, oui… Versailles et Saint-Cloud. Mon point de vue sur l’affiche, c’est qu’elle n’est pas choquante. On voit surtout le premier plan, à savoir un dessin de deux hommes qui s’embrassent. Au second plan oui, on peut deviner qu’un homme fait une fellation à un autre, mais c’est assez petit et franchement, beaucoup de gens ne l’avaient même pas remarqué. Le climat ambiant a voulu que l’on s’arrête sur tout détail qui puisse choquer, provoquer. Cette censure n’a fait que se retourner contre leurs auteurs, puisque les médias ont encore plus parlé du film. Je suis un fervent défenseur de la liberté d’expression et de la liberté de l’art. L’art sert aussi à bousculer, à créer le débat. C’est essentiel dans une société pour qu’elle ne s’aseptise pas. Donc je respecte les critiques, je ne les partage pas et je pense qu’il est sain de ne pas imposer de censure aux œuvres via le prétexte du politiquement correct. Je suis de ceux qui confient au public le choix et le libre arbitre de décider de ce qu’ils veulent voir.
L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick D’Assumçao, Jérôme Chappatte, Mathieu Vervisch, Gilbert Traina… France, 2013. Prix de la Mise en scène de la sélection Un Certain Regard du 66e Festival de Cannes.