Après I am not a Hipster, Destin Cretton réalise States of Grace, où l’histoire de la jeune et belle directrice d’un foyer pour ados (Grace / Brie Larson) et des éducateurs qui travaillent avec elle. Un récit librement inspiré de l’histoire de Destin Cretton. Rencontre.
D’où vient States of Grace ?
J’ai travaillé dans un foyer similaire après le bac. Je ne trouvais pas d’autre boulot. J’y ai passé deux ans. J’étais comme le personnage de Nathan qui commence à travailler dans le centre au début du film. J’étais « le nouveau ». Très naïf. Je n’avais jamais été confronté aux problèmes que ces adolescents traversent, ça a été un gros choc pour moi. C’était terrifiant et dérangeant au début. Je ne savais absolument pas quoi faire. Mais au fil des deux ans que j’ai passés là, j’ai énormément mûri. C’était mon « passage à l’âge adulte » [« coming of age story », ndr]. Au début, States of Grace était un court-métrage, puis ça a évolué en long. Tout ce processus, c’était pour moi une façon de comprendre ce que j’ai vécu, d’y trouver un sens, notamment en interviewant des gens que j’y ai rencontrés, avec qui j’ai collaboré.
Pourquoi le film se focalise-t-il sur Grace et pas sur Nathan, le jeune éducateur ? D’où vient le personnage de Grace ?
Nathan, c’est celui que j’étais pendant les premiers mois. Grace, c’est la personne que je suis encore, en quelque sorte… Elle représente toutes les questions que je me suis posées, que je me pose encore. Notamment la peur qu’on peut ressentir, la peur de ce qu’on peut faire à quelqu’un qu’on veut aider. La responsabilité que l’on a les uns envers les autres. Surtout quand on est professeur ou parent. Que vous le fassiez exprès ou non, il y a toujours la possibilité de dire la mauvaise chose au mauvais moment à votre enfant, et ça restera dans sa tête à jamais. Cette responsabilité est terrifiante. Surtout dans le cas de Grace, qui sait exactement ce que cela signifie, parce qu’elle a vécue ça enfant. Cela aurait été plus « traditionnel » de suivre le nouveau venu et de découvrir ce monde à travers ses yeux, mais ce n’est pas ce qui m’intéressait.
Le film a un côté « documentaire », comment avez-vous travaillé cet aspect sachant que vous aviez un temps de tournage très limité ?
Tout était écrit, planifié, on avait même un story-board, on savait exactement quels plans on voulait. Mais au moment de tourner, sur le plateau, j’évitais d’être trop dirigiste, je voulais me laisser surprendre. Ça vient du fait de faire des documentaires. J’aime être surpris, capturer quelque chose qui ne se reproduira pas. La prochaine prise ne serait pas la même, il y avait quelque chose d’instinctif dans le jeu.
Comment le travail sur la lumière vous a-t-il permis de créer un environnement particulier ?
En fait on s’est imposé une contrainte très simple en termes d’éclairage : on voulait que ça soit le plus naturel possible pour les comédiens. On ne voulait donc pas de projecteurs à un mètre de leur visage, il fallait qu’ils se sentent vraiment dans la pièce, libres de faire ce qu’ils voulaient. C’était l’idée de départ. Au final, on a surtout éclairé de l’extérieur. Les projecteurs étaient derrière les fenêtres et faisaient rentrer la lumière. Il y avait très peu d’équipement dans le décor et ça a beaucoup influencé le jeu des acteurs, ça a renforcé ce côté « naturel », surtout pour les plus jeunes acteurs, ils oubliaient ainsi l’espace d’un instant qu’ils se trouvaient sur un plateau de cinéma.
La caméra est souvent au plus proche des personnages, quelle a été votre démarche de mise en scène à ce sujet ?
Tout était story-boardé, mais comme nous avons opté pour une caméra à la main, le chef-opérateur était libre de suivre son instinct. Comme lors de la scène où Marcus fait écouter son rap à Mason. On savait que ça serait « émotionnel », mais on ne savait pas vraiment ce qui se passerait. C’est pendant la seconde prise que Brett [Brett Pawlak, le chef-opérateur, ndr] a commencé à resserrer le plan. Lors de la troisième, il a encore plus poussé le zoom, il était sur le visage de Marcus, sur ses yeux, je regardais au moniteur et je me suis mis à pleurer. Je ne m’attendais pas à une telle charge émotionnelle. C’était magique, c’est arrivé comme ça, une combinaison entre l’instinct de jeu de Keith Stansfield et l’instinct de Brett qui a fait naître cette très belle scène. Et je n’y suis pour rien, j’étais dans une autre pièce en train de regarder le moniteur !
Le film traite vraiment de la communication entre les gens, des personnages qui cherchent à s’entendre, à créer des liens…
L’idée du film, c’est que ça peut être très toxique de ne pas partager ses souffrances avec autrui. Ce que traverse Grace dans le film, ce qu’elle ressent, correspond à une période très difficile de ma vie. Je ne trouvais pas de raison pour me lever le matin. J’intériorisais beaucoup. C’est naturel chez moi, je n’aime pas partager ce que je ressens, je fais face tout seul. A un moment donné, c’était trop pour moi, je n’arrivais plus à y arriver seul, mais j’ai mis du temps à l’admettre. J’ai commencé à en parler à mes sœurs, ça m’a aidé, ça n’a pas changé les faits, mais j’arrivais à fonctionner à nouveau. Il y a beaucoup de ça dans le personnage de Grace. Elle est très fière, elle a une forte personnalité et elle a du mal à admettre qu’elle n’y arrive pas.
L’intimité est aussi un « problème » dans le film.
Oui, pour Grace beaucoup. C’est en partie dû à ce qu’elle a vécu. Elle a fait confiance à ses parents et ils ont fait des choses horribles. Pour elle, l’intimité est une chose presque impossible. C’est pour ça que Mason est aussi « parfait » pour elle. Il faut avoir énormément de patience pour être avec quelqu’un comme Grace. Mason représente le genre de personne à qui j’aimerais ressembler, j’aimerais avoir cette patience, cette vision de la vie. Lui aussi a traversé des choses difficiles, mais il a utilisé l’humour pour s’en sortir. Ils font un beau couple ces deux-là !
Les ados du foyer sont comme des enfants de substitution pour Grace, comme pour l’aider à accepter de devenir mère elle-même. Comment avez-vous envisagé cela au moment de l’écriture ?
En termes d’écriture, chaque scène du film nous montre comment Grace réagit, même les histoires de chaque ado, cela nous montre ce que ça provoque en elle, comment ça résonne par rapport à elle. Soit elle se dit « je peux y arriver, je peux devenir un adulte responsable, capable de prendre soin de moi et des autres » ou alors « merde, non, j’en suis même pas proche ! ». Donc cela dépend beaucoup de comment elle se sent dans son travail, en tant que mère de substitution. Quand elle voit que Marcus est bien, elle se dit qu’elle peut y arriver, mais quand elle constate que Sammy est de plus en plus mal, c’est le contraire… Et l’intimité entre Grace et les enfants dans le film reflète l’intimité de Brie Larson avec les jeunes acteurs. Leur relation ne s’interrompait pas au moment de couper. Elle était constamment dans un rôle de leader. Et vous ressentez cette intimité grandir au fil du film. Comme lorsque Grace est au chevet de Sammy, c’est parce que à ce moment Brie se sentait beaucoup plus proche d’Alex Calloway, l’acteur. Il la considérait vraiment comme son aînée, un modèle. Tous les jeunes ont développé de fortes relations avec Brie et John Gallagher. C’était quelque chose de très émouvant à capturer.
States of Grace (Short Term 12) de Destin Cretton, avec Brie Larson, John Gallagher Jr., Kaitlyn Dever… Etats-Unis, 2013. Sortie le 23 avril 2014.