Srinath Christopher Samarasinghe signe Un nuage dans un verre d’eau, un premier film étonnant à l’inventivité folle, empreint de bouddhisme et de soufisme. Un vieil homme égyptien interprété par Gamil Ratib (Lawrence d’Arabie) et une jeune prostituée roumaine jouée par la très talentueuse Anamaria Marinca (Quatre mois, trois semaines, deux jours) partagent le même immeuble et se lient d’une amitié profonde. Khalil, le petit-fils incarné par Tewfik Jallab (Né quelque part) tourne un documentaire sur son grand-père pour en savoir plus sur ses lâchetés passées. Mais une nuit, brusquement, le vieil homme disparaît. De la forme documentaire, nous basculerons dans un thriller fantastique. Rencontre avec un réalisateur protéiforme.
Quelle est la genèse d’Un nuage dans un verre d’eau ?
J’avais fait un premier court-métrage, Karma, avec mon grand-père. En 2007, son cancer s’était accéléré. Il savait qu’il allait partir. On avait eu la même envie, faire un film. Comme j’avais senti qu’un tel projet pouvait le « maintenir » en vie plus longtemps, j’ai écrit la première version du scénario en trois semaines. Je l’ai présenté tel quel à l’avance sur recettes du CNC. A notre grande surprise, nous l’avons eue. Une production s’est ensuite engagée. Mon grand-père est parti rejoindre le Grand Tout de l’univers et cela nous mène, six années plus tard, à la sortie du film.
Il y a plusieurs films dans Un nuage dans un verre d’eau, tout comme il y a plusieurs points de vue…
Il y a le point de vue documentaire. Le film commence par les prises de vues du petit-fils de monsieur Noun, un des deux personnages principaux. Petit à petit, la caméra passe à un point de vue de fiction avec une rupture très nette lorsqu’un bloc de glace tombe du ciel. Cette caméra venue du ciel est le stylo filmique du méta-narrateur, celui au-dessus du petit-fils.
Pourquoi cette envie de mélanger les genres ?
C’est une métaphore de l’action de monsieur Noun, il doit voir sa vie dans une autre perspective pour en comprendre le sens et agir. Nous existons grâce aux autres. Les autres nous offrent une autre perspective de nous-mêmes. A partir de sa disparition, monsieur Noun est libéré de son point de vue, il est quasi-omniscient. Il peut alors exprimer ses défauts, son amour et son empathie.
Que signifie la métaphore du titre Un nuage dans un verre d’eau ?
Il s’agit d’une métaphore que l’on évoque dans le bouddhisme. Le nuage est aussi un verre d’eau. Lorsqu’une personne meurt, son esprit s’échappe et le corps, le contenant se détériore. D’une manière moderne, cette image explique la dispersion d’une énergie vitale après la mort de quelqu’un.
Votre grand-père a-t-il été une sorte de muse pour vous ?
Mon grand-père m’a beaucoup inspiré car j’ai eu, avec lui, une relation exceptionnelle. On fumait ensemble les mêmes cigarettes quand j’étais fumeur. Il couvrait mes sorties nocturnes et surtout, il avait beaucoup d’humour absurde. Il était le genre d’homme qui pouvait rire de sa propre mort. C’est le genre de personne qui vous donne envie d’apprendre à vieillir, ce que la société actuelle essaie de cacher. On vieillit, cela fait partie de la vie.
Quels sont vos films de chevet ? Ceux qui vous ont inspiré ?
Il y en a beaucoup, et beaucoup d’autres que je n’ai toujours pas vus. Les films qui m’ont marqué sont Répulsion de Roman Polanski, Sea of Love d’Harold Becker, Jennifer 8 de Bruce Robinson, Shining de Stanley Kubrick, Lemming de Dominik Moll, Sur mes lèvres de Jacques Audiard, Eldorado de Bouli Lanners, Dark City d’Alex Proyas, Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze, l’adaptation Le Festin nu par David Cronenberg, Zodiac de David Fincher, récemment Killer Joe de William Friedkin… Par rapport à Un nuage dans un verre d’eau, deux films m’ont vraiment inspiré : Harold et Maude d’Hal Ashby, une histoire d’amour entre un jeune homme et une octogénaire, et Vivre d’Akira Kurosawa, dans lequel un homme décide de vivre sa vie librement le jour où il apprend que son cancer va l’emporter.
Comment s’est passée votre collaboration avec l’actrice Anamaria Marinca ?
Anamaria Marinca est une personne très sensible et intelligente. Ce qui ne lui enlève pas une spontanéité qui n’est pas du tout intellectualisée. Avec des questions et le scénario, elle a délimité les contours du personnage. A partir du moment où elle avait tout saisi, quand je disais « action », elle était toujours juste et les prises additionnelles n’ont été que d’autres propositions pour la même scène.
Le lien intergénérationnel entre cette jeune femme roumaine et le vieil homme égyptien est très touchant…
Dans les années 1980, j’avais 4 ans, nous connaissions bien notre voisin du dessus, un octogénaire. Il était d’origine italienne, moi d’origine sri-lankaise. Paris, Londres, New York… Les grandes villes recèlent d’amitiés comme celle-ci. Les gens sont ensemble et seuls à la fois, et parfois des amitiés hors normes comme dans mon histoire naissent. C’est très beau et cela donne un peu d’espoir en l’humanité.
L’histoire que vous racontez est-elle autobiographique ?
Elle est en partie autobiographique et biographique. J’ai pris des fragments du réel pour créer cette histoire, un peu à l’image de nos vies qui évoluent à la rencontre d’autres vies.
Quels sentiments, quelles réflexions avez-vous envie de susciter chez le spectateur ?
J’aimerais que le spectateur puisse comprendre ces personnages, ce sont des gens qui pourraient être des voisins parisiens. Comme beaucoup de réalisateurs, je souhaiterais que de l’empathie naisse chez le spectateur.
Quelle est la morale de votre histoire ?
Elle est assez simple : n’attendez pas de mourir pour exprimer vos sentiments à ceux que vous aimez !
Un nuage dans un verre d’eau de Srinath Christopher Samarasinghe, avec Anamaria Marinca, Gamil Ratib, Tewfik Jallab… France, 2012. Sortie le 14 août 2013.