Attention talent ! Que les frères Coen et autres Dardenne prennent garde : une autre fratrie de réalisateurs, espagnole celle-ci, montre toute l’étendue de son savoir-faire dans un film d’anticipation angoissant, Les Derniers Jours. Rencontre avec Alex et David Pastor, un duo qui n’a pas fini de faire parler de lui.
Les Derniers Jours est-il le fruit d’une volonté de montrer que les réalisateurs espagnols peuvent autant accoucher de films apocalyptiques que les Américains ?
Ce n’était pas un objectif en soi. On sentait que l’on tenait une histoire qui méritait d’être racontée. En revanche, c’est un aspect que l’on avait constamment dans un coin de nos têtes. De nos jours, le public a vu le monde être détruit de tant de manières, avec des budgets colossaux et des tonnes d’effets spéciaux. Alors, on a dû être capables de livrer, à cet égard, des images saisissantes et qui ont également un sens, une portée. Et on a tenu à équilibrer tout ceci avec une solide dose de personnages et d’émotions humaines, plus terre-à-terre. C’est ce qui nous intéressait le plus et c’est ce qui est souvent négligé dans les films des studios américains.
Votre film est-il une allégorie de la crise qui touche le monde entier et l’Espagne en particulier ?
On a commencé à écrire le film en 2008, avant le début de la crise financière. Le propos tendait plutôt vers une critique générale de notre mode de vie contemporain, ultra-technologique : la manière dont nous passons nos journées enfermés, assis devant des ordinateurs, à vivre une vie qui n’est plus naturelle. Mais quand nous étions en train d’écrire et de retravailler le script, l’économie mondiale s’est écroulée : le marché s’est écrasé, le chômage a explosé et les gens ont commencé à perdre leurs maisons… Ca arrivait tout autour de nous, au moment même où l’on écrivait le film : à la télévision, dans les journaux, dans la rue… Ca soulignait exactement les thèmes de notre film. Non seulement notre mode de vie s’éloigne de plus en plus de Mère Nature et ne nous rend pas plus heureux, mais en plus, il semblerait qu’il ne soit pas durable. Alors, il nous a paru inévitable que la réalité trouve son chemin dans notre histoire et influence le film, particulièrement dans le cas d’Enrique, l’expert en ressources humaines, interprété par José Coronado.
On ne sait rien de l’origine de cette épidémie qui frappe les humains… On pense évidemment à Phénomènes de M. Night Shyamalan ou Blindness de Fernando Meirelles. Aviez-vous ces deux films comme référence ?
C’est drôle parce qu’on travaillait déjà sur notre projet quand ces deux films sont sortis. Phénomènes nous a inquiétés quand on l’a vu au cinéma, car on a eu peur que certaines similarités superficielles puissent nous empêcher de trouver des financements pour Les Derniers Jours. C’est une peur constante quand on écrit un film. Est-ce que quelqu’un, quelque part, est-il en train de développer quelque chose qui pourrait être perçu comme similaire ? Et si c’était le cas, est-ce que cela aurait un effet néfaste sur notre projet ? Ecrire un film peut être un processus lent et, pendant ce laps de temps, d’autres films, ressemblant de près ou de loin au vôtre, peuvent sortir, et ça, c’est particulièrement angoissant. Concernant Blindness, le film en soi n’était pas une référence pour nous. Mais par contre, L’Aveuglement de José Saramago, le roman dont il est l’adaptation, lui, l’est tout à fait. Nous en sommes fans. Ce roman nous a prouvé que l’on n’a pas besoin d’expliquer le comment du pourquoi. Les origines de l’épidémie ne sont pas intéressantes en soi : ce qui est fascinant, ce sont toutes les conséquences, la manière dont les gens sont affectés et dont ils réagissent.
Pensez-vous que l’être humain soit condamné ?
Honnêtement, ça dépend des jours… On espère que non ! On est mariés, on a des enfants, des hypothèques, alors on vit comme tout un chacun, en pensant que le monde continuera à avancer et qu’il y aura des lendemains qui chantent. Maintenant, à chaque fois qu’on lit quelque chose à propos du réchauffement de la planète, on ne peut pas s’empêcher de paniquer. Tous les scientifiques sont d’accord pour dire que l’on n’a plus de temps à perdre, mais nous n’avons pas l’impression que des choses tangibles soient faites pour endiguer le problème. Malheureusement, conduire des vélos et utiliser des lampes à basse consommation, cela ne suffira pas. Nous avons besoin de profonds changements dans notre mode de vie, pas seulement au niveau personnel, mais au niveau macro-économique aussi. Et ça, ça exige beaucoup de coopération entre les gouvernements et entre les secteurs public et privé. Mais est-ce réellement ce qui se passe ?
Vous dites que votre film est optimiste car une nouvelle génération réussit à dépasser les phobies de la génération précédente. Pourtant cette dernière reste dirigée par ses peurs…
Notre film, et même chaque film en général, n’est vraiment terminé, complété, que par le public, au cinéma ou chez lui. Chaque fois que vous regardez un film, vous l’interprétez à travers vos propres expériences, votre idéologie, votre personnalité, vos connaissances… Alors c’est vraiment à vous de voir et de ressentir la fin du film comme vous l’entendez.
Les dernières minutes proposent en effet un nouveau monde possible. Pourquoi ne pas avoir exploité davantage ce dernier chapitre ?
Eh bien, nous avons toujours su que nous voulions finir le film avec un nouveau départ, une porte entrouverte sur un avenir qui amène un mode de vie radicalement différent de celui que nous avons aujourd’hui. Les Derniers Jours, c’est l’histoire de Marc, la fin de l’Ancien Monde et un aperçu du Nouveau Monde, celui dans lequel le fils de Marc va vivre. Mais c’est Marc le héros, celui dont on raconte l’histoire. Ce qui arrive après, c’en est une autre. On a plaisanté sur la possibilité d’une suite qui suivrait le fils de Marc à travers le monde de demain, mais la vérité, c’est que nous aurions besoin d’un énorme budget pour achever un tel projet. Mais si cela intéresse James Cameron de le produire…
Comment avez-vous tourné la spectaculaire scène de l’ours dans l’église ?
Avec un vrai ours dans une vraie église, en fait ! Nous n’avions pas le budget pour créer un animal en images de synthèse, comme dans L’Odyssée de Pi. Rien que cela, ça aurait coûté plus cher que le budget total du film. Alors on a trouvé un dresseur qui avait un ours qui avait déjà tourné dans des films et des publicités en Espagne. Il suffisait de bien chorégraphier la scène et de l’inclure dans le storyboard. Bien sûr, il y a d’autres petits trucs : un peu d’images de synthèse pour tout fusionner et placer les acteurs à côté de l’animal, un ours factice, des doublages… En fait, c’était complètement à l’ancienne, mais on s’est bien amusés !
Pour que le film fonctionne, il fallait un duo de comédiens à la fois antagonistes, mais qui provoquent une empathie immédiate. Comment s’est porté votre choix sur Quim Gutiérrez et José Coronado ?
On savait pendant qu’on écrivait le script que l’on voulait José pour le rôle d’Enrique. C’est un acteur très talentueux, avec un grand charisme et une présence folle à l’écran. Mais en même temps, on sentait qu’il était mal utilisé et sous-estimé. Sa nomination aux Goya pour son rôle dans No habrá paz para los malvados (qu’il a remporté, d’ailleurs) a été l’argument de choc pour convaincre les producteurs que c’était notre homme. Ce qui est bien avec José, c’est qu’il est non seulement très passionné par son travail et qu’il lui donne tout, mais aussi qu’il ne craint pas de jouer un connard détestable tel qu’Enrique au début du film. Quant à Quim, il est arrivé après. On sentait qu’il était parfait pour le rôle, car il était capable d’incarner les deux facettes du personnage de Marc. D’un côté, il rend crédible et attachant ce programmateur ringard, paumé et un peu immature, incapable de grandir. C’était important pour nous de commencer avec un personnage vulnérable, un homme auquel on puisse tous s’identifier, loin des héros invincibles que l’on trouve dans les blockbusters américains. De l’autre côté, quand la merde arrive, vous arrivez complètement à croire qu’un type comme Quim peut relever le défi de se battre pour rejoindre l’amour de sa vie. C’était un équilibre difficile que Quim a parfaitement réussi à atteindre.
Décors impressionnants, effets spéciaux, Les Derniers Jours est un vrai film apocalyptique. Comment parvenir à de tels rendus avec si peu de moyens ?
Merci ! Nous sommes très contents si vous avez trouvé cela impressionnant ! Il y a plusieurs raisons qui nous ont permis de pouvoir créer autant de choses avec un budget si limité. La première, c’est que faire un film en Espagne coûte moins cher. Moins qu’aux Etats-Unis, où nous avions tourné Infectés, notre premier film. En Espagne, les gens gagnent moins d’argent. Tout le monde, du directeur jusqu’au chauffeur de camion, gagne moins que dans une production américaine. La deuxième chose, c’est que rien n’est gaspillé, le directeur de production s’assure que tout l’argent du budget est bien utilisé pour le film et que cela se voit à l’écran : décors, effets spéciaux, grues, figurants… Aux Etats-Unis, c’est différent : parfois, l’argent va dans des choses qui ne concernent pas directement le film, comme des billets d’avion en première classe. Pour Infectés, nous avions un assistant personnel qui nous suivait partout en nous demandant si on voulait un café. On a même réalisé une bande-annonce qui n’a jamais été utilisée. En Espagne, ce type de choses n’existe pas. Enfin, on pense que Les Derniers Jours a l’air beaucoup plus impressionnant qu’il ne l’est en réalité, grâce au talent, l’ingéniosité et le travail de toute l’équipe, du directeur de production au directeur artistique, en passant par le directeur de la photographie, le régisseur extérieur, les studios d’effets spéciaux… Tous ont travaillé incroyablement dur pour utiliser intelligemment le budget et trouver des solutions créatives afin de réaliser un film spectaculaire. Tout se joue sur la débrouillardise et la créativité.
Et vous, quelles sont vos phobies ?
Si vous comprenez ce terme en tant que peur irrationnelle, nous n’avons pas vraiment de phobie. En fait, ce qui nous empêche de dormir la nuit, c’est le changement climatique. On se dirige vers des moments difficiles, mais on n’en est pas pleinement conscients. D’une certaine manière, nous vivons un pic et les générations suivantes vont nous regarder et nous demander comment on a pu vivre aussi largement, de manière si imprudente, avec autant de gaspillage…
Les Derniers Jours d’Alex et David Pastor, avec Quim Gutiérrez, José Coronado, Marta Etura. Espagne, 2012. Sortie le 7 août 2013.