A l’heure où l’on écrit ces lignes, on est toujours sous le choc de la razzia Gallienne aux Cesar et des deux seuls prix (un chacun) réservés à La Vie d’Adèle et L’Inconnu du lac. Du coup, c’est avec la peur au ventre qu’on aborde la nuit des Oscars (un aperçu du cauchemar : rien pour Cate Blanchett, le doublé pour Jennifer Lawrence dans un film de David O. Russell, lui-même grillant au poteau Martin Scorsese, Alfonso Cuaron, Steve McQueen et Alexander Payne, et, pour couronner le tout, l’Oscar de la musique à Gravity). Pour conjurer le sort, on détourne le regard de Bienvenue chez les Ch’tis dimanche sur TF1, et, avec les films de cette semaine, on se dit que par le passé, des prix ont été justement décernés (Sara Forestier dans Le Nom des gens) ou que des grands ont été honteusement oubliés (Patrick Dewaere nommé six ans de suite, dont l’année du Juge Fayard, lundi sur Arte), et aussi qu’une carrière peut prendre un tournant inattendu (Matthew McConaughey à revoir dans Comment se faire larguer en 10 leçons, mardi sur Numéro 23).
Fighter, de David O. Russell – lundi, 23h – D8
David O. Russell, le nouveau nabab du cinéma américain, raflant Oscars, Baftas et Golden Globes à la pelle était pourtant indésirable des studios américains après l’échec retentissant de J’adore Huckabees. Avant Happiness Therapy et American Bluff, c’est avec Fighter qu’il s’était de nouveau fait un nom. Et avant de donner une respectabilité à Bradley Cooper – qui n’était jusque là que le beau gosse de Very Bad Trip –, c’est à Mark Wahlberg qu’il avait donné de l’épaisseur dans ce rôle de boxeur entraîné par son grand frère. Comme dans le film, ce n’est pourtant pas sa victoire à lui qui importe, mais celle de Christian Bale, récompensé de l’Oscar du second rôle. Un film de reconquête, qui en dit autant sur ses auteurs et acteurs, qui ont tous connus la traversée du désert, que sur ses personnages.
Le Nom des gens, de Michel Leclerc – mercredi, 20h45 – France 4
On oubliera vite que Sara Forestier n’a pas été honorée cette semaine en célébrant le fait qu’elle l’a justement été pour son rôle dans Le Nom des gens. Un rôle de jeune femme libre, impulsive, déconcertante, avec une savoureuse ligne de conduite : les mecs de droite, les fachos dirait cette fille de militante gauchiste, c’est elle qui les baise. Littéralement. Face à elle, le trop raisonnable Jacques Gamblin est bousculé par cette spontanéité, par cette apparente insouciance finalement plus profonde. Une réflexion subtile sur l’engagement au quotidien, un débat sans fin entre la raison et la passion : ce n’est pas toujours le meilleur produit qui emporte le marché, nous répète Jacques Gamblin inlassablement. Le tout enrobé d’un humour féroce, où l’émotion affleure sans prévenir (les personnages des parents, dont les blessures et regrets surgissent), agrémenté des délicieuses apparitions d’Alain Bedouet – la voix du Téléphone sonne de France Inter jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite il y a peu – et de Lionel Jospin. Un plaisir.
The Housemaid, de Im Sang-soo – mercredi, 20h50 – Arte
La Servante, de Kim Ki-young – mercredi, 22h30 – Arte
Pour finir, on se tourne vers les losers de la semaine : même pas un petit Oscar à se mettre sous la dent. Tout juste une présentation en Compétition à Cannes pour The Housemaid, reparti bredouille. Une variation troublante sur la domination et la liberté tant les deux réalisateurs coréens brouillent les pistes et mélangent les genres : drame psychologique, comédie acérée, film érotique et même thriller horrifique. Une immersion dans la classe dominante, du côté de l’escalier de service, où la question du choix et de la liberté de ses actes est omniprésente, voire jusqu’au-boutiste. La domination ne s’exerce pas seulement sur les faibles, et les puissants portent aussi leurs chaînes. Le choix de s’en défaire, en revanche, semble être celui de ceux qui n’ont plus rien à perdre.