Cette semaine, le cinéma ne se distingue pas par sa contemporanéité, mais n’en est pas moins actuel. C’est dans les robes encombrantes des siècles passés, sous les lunettes des années 1970, ou encore avec les moustaches d’un autre âge que tous ces personnages se débattent avec des sentiments éternels, et tentent d’alerter un monde qui refuse de les croire que le danger ou l’horreur est déjà là. Lanceurs d’alerte avant l’heure, profiteurs de tous poils, et luttes pour le pouvoir, quel qu’il soit, sont au programme.
Dimanche 3 février
Les Sentiments, de Noémie Lvovsky – 20h50 – D8
Amen., de Costa-Gavras – 20h50 – HD1
Si les quarts de finale de la Coupe d’Afrique des Nations ne se prolongent pas en tirs au but, D8 nous permet, quelques semaines avant les César, et peut-être la consécration de Camille redouble (13 nominations), de (re)découvrir Les Sentiments de Noémie Lvovsky. Déjà sensible, déjà enthousiasmant (et déjà récompensé, par le prix Louis-Delluc). Noémie Lvovsky observe les sentiments, tous les sentiments, les beaux et nobles comme les moins avouables, avec douceur et justesse. Elle capte les détails, les attentions, les blessures que l’on cache. C’était il y a dix ans, elle faisait déjà ses films avec discrétion mais avec talent.
Mathieu Kassovitz en soutane et la raie sur le côté, rien que ça, ça vaut le détour. Costa-Gavras le met en scène avec un ingénieur de la SS (Ulrich Tukur, agent de la Stasi dans La Vie des autres). Ils tentent de convaincre le pape de prendre position contre l’extermination des Juifs, d’organiser une pénurie de Zyklon-B. Costa-Gavras ne montre pas l’horreur. Il montre ceux qui la regardent. Ceux qui s’en réjouissent, et surtout ceux qui essaient de la combattre. Les chambres à gaz sont filmées de l’extérieur, avec celui qui découvre, comme un Einstein à Hiroshima, les conséquences et l’application de son invention scientifique. Mathieu Kassovitz et sa soutane courent les couloirs du Vatican, derrière un pape qui se tient debout et marche vite, et se heurte à la hiérarchie. Pendant ce temps-là, les trains passent. Amen.
Lundi 4 février
Les Liaisons dangereuses, de Stephen Frears – 20h50 – Arte
There Will Be Blood, de Paul Thomas Anderson – 20h50 – HD1
Vengeance, de Johnnie To – 22h45 – Arte
Mensonges et trahisons et plus si affinités, de Laurent Tirard – 22h15 – France 4
Les Liaisons dangereuses a beau être un film en costumes, il n’en est pas moins actuel, dévoilant les sentiments les plus vils face à l’innocence naïve. C’est dans des décors somptueux et avec une langue châtiée que l’on se balance les pires vacheries. C’est sous les apparences de la bienséance que l’on manipule et trahit sans compter. Stephen Frears retranscrit complètement cette ambivalence, signant un film classique, porté par des acteurs exceptionnels. La séduction du toujours inquiétant John Malkovich associée à la perversité joyeuse de Glenn Close. Le tout sous l’œil des petites jeunots de l’époque, Uma Thurman et Keanu Reeves.
There Will Be Blood, c’est aussi ce qu’auraient pu se dire Merteuil et Valmont. On se rapproche de nos contemporains, mais on reste toujours dans un passé pas si lointain, où l’or noir suscite la cupidité la plus violente, où les changements de civilisation provoquent l’extrémisme religieux. Paul Thomas Anderson signe à la fois une (longue) fresque, ambitieuse et magnifique, et un duel, sec et tendu, entre deux hommes. Daniel Day-Lewis tout à sa démesure contre Paul Dano à la puissance fragile.
Les aficionados de Johnnie To seront peut-être déçus par le manque d’inventivité de ce Vengeance, au regard des indispensables Exilé ou The Mission, ceux de Johnny Hallyday sans doute déconcertés par cette intrusion asiatique dans la carrière du rockeur acteur. La rencontre entre les deux hommes suscite parfois l’incrédulité, voire frise le ridicule. Mais elle suscite une telle curiosité amusée qu’on y jette quand même un œil attentif.
Dans Mensonges et trahisons et plus si affinités, vous allez tomber amoureux(se) d’Edouard Baer. On succombe à son charme, à la séquence d’ouverture, aux dialogues savoureux (Clovis Cornillac qui veut sa biographie “comme du Baudelaire”). Edouard Baer sur France 4 VS Johnny sur Arte, faites votre choix.
Mardi 5 février
RRRrrrr !!!, d’Alain Chabat – 20h45 – NT1
Légendes d’automne, d’Edward Zwick – 20h50 – W9
RRRrrrr !!! est l’association d’Alain Chabat et des Robin des Bois, qui se réclament chacun à divers degrés d’un humour absurde héritier des Monty Python. Ils restent encore un peu loin de leurs illustres aînés, mais saluons l’effort, finalement pas si courant dans l’humour français. Certains gags sont efficaces et bien trouvés, mais trop souvent, on cède au running gag facile, à l’exagération inutile, et tout cela manque un peu de fond. “L’humour anglais souligne avec amertume et désespoir l’absurdité du monde. L’humour français se rit de ma belle-mère”, disait Desproges dans Les étrangers sont nuls. On reste ici quand même du côté de ma belle-mère.
Grande fresque toujours, avec Légendes d’automne, qui balaie une certaine histoire des Etats-Unis, entre guerre, relation avec les Indiens et prohibition. Brad Pitt est jeune et chevelu, Anthony Hopkins est vieux et impotent, le tout est un peu long, un peu larmoyant, un peu grandiloquent (Brad Pitt revenant de la guerre, des cœurs accrochés au cou, pour ne citer qu’un exemple), mais la diffusion de Légendes d’automne nous permet de rajeunir en retrouvant un esprit midinette.
Mercredi 6 février
Deux sœurs pour un roi, de Justin Chadwick – 20h45 – France 4
Plongée dans les arcanes du pouvoir sous Henry VIII, certes, mais ce Deux sœurs pour un roi est surtout un triangle amoureux glamour et dramatique, où règnent désir, jalousie, vengeance et soif du pouvoir. Comme à son habitude, France 4 diffuse le film en VF, on se concentrera donc surtout sur les décors et costumes, et sur la surprise du casting. Des deux sœurs, ce n’est pas Scarlett Johansson qui joue la séductrice fatale. L’ambitieuse, celle qui manigance et affirme son pouvoir, c’est Natalie Portman. On ferme ses oreilles, et on regarde le duel.
Jeudi 7 février
Vilaine, de Jean-Patrick Benes et Allan Mauduit – 20h45 – 6ter
Les Dents de la mer, de Steven Spielberg – 23h – NT1
Mélanie est Vilaine, parce qu’elle en a marre d’être gentille. Nous, ça nous fait une belle jambe, parce qu’on ne rigole pas à chaque blague potache, mais on reconnaît que Marilou Berry est épatante, même quand elle est méchante. Et puis il faut bien patienter pour mériter Les Dents de la mer.
Les Dents de la mer est a priori diffusé en VF, mais la musique, angoissante à souhait, même près de 40 ans plus tard, n’a pas de langue. Le tour de force de Steven Spielberg est de créer cette peur, en en montrant l’objet le plus tard possible. Un homme lutte contre les intérêts commerciaux du maire d’une cité balnéaire, contre l’insouciance estivale. La peur rôde, la peur gronde. Les lunettes, les pulls et autres pantalons ont pris un sacré coup de vieux, mais rien d’autre n’est daté. On sait gré à NT1 de diffuser Les Dents de la mer en plein hiver, pour qu’on ne regrette pas les plages, et qu’on ait le temps d’oublier d’ici cet été. Enfin sauf pour ceux qui s’apprêtent à partir aux caraïbes.
Et ce week-end, achetez donc le DVD de Bovines, un film vachement bien, ou jetez un œil à tout ce que vous avez raté à Gérardmer.