Qu’on le veuille ou non, difficile de passer à côté de l’événement de l’année : la Coupe du monde de football prend place au Brésil du 12 juin au 13 juillet 2014. Et puisque à part quelques privilégiés qui feront le voyage jusqu’à Rio la plupart d’entre nous vont suivre l’aventure mondiale du ballon rond devant leur petite lucarne, c’est l’occasion de s’interroger sur les liens qui unissent deux des plus fascinants loisirs populaires qui soient.
Football et cinéma, deux mondes, deux univers. Deux cousins lointains issus de familles que tout semble opposer, l’art et le sport. Pourtant, nombreux sont les points communs qui relient ces deux milieux : même bouleversement des codes durant ces dernières décennies par le capitalisme et les enjeux financiers, même proportion à avoir un projet sublimé par une personne plus talentueuse que les autres, mais aussi même nécessité de tirer le maximum des individualités pour créer un projet collectif ambitieux, même volonté de récompenser les « meilleurs » par des prix, même alternance de temps forts / temps faibles.
Il n’est pas rare non plus d’entendre dans la bouche de nos chers commentateurs de football des termes appartenant au monde du septième art, de l’entrée des vingt-deux « acteurs » sur la pelouse jusqu’à la fin de match qui nous aura offert un « scénario hitchcockien ».
Enfin, preuve que football et cinéma ne sont pas si antagonistes, quelques footballeurs souvent plus charismatiques que leurs confrères ont tenté d’ajouter la ligne « acteur » à leur CV. On se souvient ainsi de Vinnie Jones, l’ancien milieu de terrain rugueux (pour ne pas dire violent) de Wimbledon et de Chelsea, dans Arnaques, crimes et botaniques ou dans Snatch. De l’autre côté de la Manche, Eric Cantona a troqué ses crampons pour une panoplie d’acteur dans Le bonheur est dans le pré d’Etienne Chatiliez ou plus récemment dans Looking for Eric de Ken Loach. Même le grand Spike Lee rêve de faire tourner Thierry Henry une fois sa carrière terminée.
En d’autres termes, les deux cousins ne sont pas aussi lointains qu’on peut le penser. Ils ont même parfois tenté des travaux communs ; mais pour quels résultats ? Qu’est-ce que le cinéma peut apporter au football – et inversement ? Parce qu’il est vecteur d’émotions fortes et traversé par des enjeux sociaux significatifs, ce sport s’apparente à un support parfait pour le cinéma. Pourtant, aucun film sur le ballon rond ne semble avoir marqué l’histoire de ce dernier. Alors, un bon film de football est-il faisable ou ces deux milieux sont-ils impossibles à réunir ? Enfin, derrière la question de savoir si cinéma et football font bon ménage se cache un débat bien plus complexe ; déterminer si le cinéma peut sublimer le football, ses émotions, ses protagonistes et ses enjeux.
Football, fais-moi rire
Le 26 septembre 2012 sortait sur les écrans le film Les Seigneurs d’Olivier Dahan. A l’affiche de cette comédie sur le football, on retrouve de nombreux comédiens qui trustent le classement du JDD des personnalités préférées des Français (Gad Elmaleh, Franck Dubosc, Omar Sy, José Garcia…). Pourtant, le film n’aura pas le succès commercial et populaire escompté. Les trois millions d’entrées paraissent bien faibles en regard de l’onéreuse campagne de promotion et des importants cachets des comédiens. S’il est très loin d’être le film le plus drôle sur le football, Les Seigneurs nous apporte deux perspectives d’analyse sur les relations qu’entretiennent le football et le cinéma.
D’abord, le football apparaît comme un support idéal au cinéma pour faire rire. Depuis vingt ans, nombreuses ont été les comédies françaises portant sur ce sport. Que ce soit dans Didier en 1996 réalisé par Alain Chabat, dans Trois zéros de Fabien Onteniente (2001) ou enfin dans le malheureusement méconnu Grégoire Moulin contre l’humanité du regretté Artus de Penguern, la recette reste la même : le football est utilisé pour divertir. Et il suffit de regarder Joue-la comme Beckham (2002) ou Shaolin Soccer (2001) pour comprendre que ce constat ne s’arrête pas aux frontières françaises.
Le second aspect concerne plus précisément la place du football dans ces comédies. Systématiquement, il se retrouve relégué au second, voire au troisième plan ; les gags et répliques cultes prenant le pas sur le sport en lui-même. Pire, le football y est souvent ridiculisé. Les scènes de matchs y sont tellement grotesques et grossières qu’elles perdent en crédibilité. Le football joue le rôle du fond à consonance populaire, il permet à la comédie de tenir sa place mais n’est jamais représentatif de la réalité.
L’air du temps
Sport populaire par excellence, le football se trouve traversé par des enjeux politiques, financiers, et surtout sociaux. Il est souvent représentatif d’une société, d’une population. Un petit coup d’œil dans les tribunes permet de s’en rendre compte : séparation des classes socioprofessionnelles par le biais du prix des billets, ultranationalisme exacerbé dans les publics des pays de l’Est, ferveur populaire dans les stades africains…
Ce reflet de la société, certains réalisateurs l’ont bien cerné et se le sont approprié dans leurs longs-métrages. Que ce soit dans A mort l’arbitre (1984) de Jean-Pierre Mocky ou Coup de tête (1979) de Jean-Jacques Annaud, le football est utilisé pour la dimension sociale qu’il incarne. Dans ce dernier, Patrick Dewaere dynamite un football symbole d’une France conservatrice et remet en question le supposé devoir d’exemplarité des stars. A l’étranger, on retrouve aussi ce football « symbole » dans Le Ballon d’or (1994) qui s’appuie sur la ferveur, l’exutoire et l’opportunité de réussir que représente le football en Afrique.
Si la combinaison football/cinéma apparaît comme bien meilleure dans ces films que dans les comédies précitées, l’aspect technique y est une nouvelle fois négligé. En aucun cas ces réalisations ne parviennent à souligner ce qui fait la beauté de ce sport. Volonté des réalisateurs ou incapacité des acteurs à reproduire le football réel ?
Footballacteurs
Une des conditions pour atteindre sur grand écran les émotions et la beauté du football serait donc d’utiliser des footballeurs, des vrais. Et pourquoi pas les meilleurs footballeurs pour les meilleurs films de football ?
Passons sur le film A nous la victoire (1981) où se croisent le roi Pelé et Sylvester Stallone, dont certains extraits ne feraient pas tache dans notre rubrique Fond de placard. Et intéressons-nous à la trilogie Goal. S’il est un projet cinématographique qui a voulu faire communier au mieux football et cinéma, c’est bien cette série. Trois films, trois réalisateurs différents (Danny Canon, Jaume Collet-Serra et Andrew Morahan) pour mettre à l’écran la progression fulgurante et semée d’embuches du jeune prodige chilien Santiago Munez de Newcastle au Real Madrid. Pour la première fois, les meilleurs footballeurs (Zidane, Owen, Cristiano Ronaldo…) côtoient des acteurs pour jouer certaines scènes de matchs. Il y aura même des doublures pour incarner les jambes de l’acteur principal lors des phases de jeu. Certaines scènes seront tournées pendant le Mondial allemand de 2006. Tout ce travail pour quel résultat ?
La trilogie Goal sera un véritable fiasco, à l’image du dernier opus qui n’est sorti qu’en format DVD. La faute à qui, à quoi ? Si la présence des footballeurs apporte une crédibilité non négligeable, le scénario simpliste et surtout la vision du foot romancée, dénaturée et idéaliste posent problème. A vouloir magnifier le football, ces films vont trop loin, et on touche rapidement à une parodie de football. Et si ce qui faisait la beauté du football c’était cette succession de matchs soporifiques et de joueurs indignes qui permettent d’apprécier à sa juste valeur le match d’anthologie ou le joueur hors norme ? Un film peut-il réussir le pari de transmettre tout cela au grand écran ?
Filmer Zidane ?
Transmettre la beauté du football apparaît donc comme un exercice périlleux. Certains réalisateurs de cinéma s’y sont essayés avec réussite dans un format différent : la publicité. Nike a de nombreuses fois fait appel à des réalisateurs de renom pour de longs spots de pub. Ont ainsi collaboré pour la marque à la virgule, Michel Gondry, Terry Gilliam, Guy Ritchie ou même plus récemment Alejandro Gonzalez Inarritu. Même si les effets spéciaux numériques ont progressivement dénaturé ces spots, les joueurs et les scénarios mêlant intensité et humour permettent un résultat à la hauteur des attentes. Quid du grand écran ?
En 2005, Douglas Gordon et Philippe Parreno s’associent dans un projet fou, celui de filmer un joueur de foot pendant 90 minutes avec un dispositif monstrueux. Ce joueur sera le seul objet du film. Le joueur, lui, n’est pas choisi au hasard. En effet, Zinedine Zidane c’est un peu ce qui fait la beauté du football : des gestes d’une rare élégance, des coups de sang, des défaites mémorables, des victoires éternelles…
Verdict : Zidane, portrait d’un homme du XXIe siècle est une réussite. Au final, on retrouve dans cette œuvre magnifiée par la bande originale quasi parfaite de Mogwai tout ce qui fait la magie du football : des moments longs et insipides qui mettent en valeur le talent du joueur, l’ambiance aléatoire du public, un Zidane en fin de carrière parfois exténué par les efforts, des coups de théâtre comme le carton rouge. Et si la clé de ce film était tout simplement que ce match n’était pas le meilleur de Zidane ? Le protagoniste parlera même de « match de merde ».
Coup de sifflet
Nombreux sont les films qui s’appuient sur le football, rares sont les vrais films de football. Ceux qui parviennent aussi bien à retranscrire les enjeux sociaux que la singularité, l’esthétique de ce sport. Le football fait donc parfois bon ménage avec le cinéma mais il n’est que très rarement magnifié par ce dernier.
Le football a ça de particulier qu’il se suffit à lui-même. Ce qui fait sa beauté, c’est cette incertitude, ces défaites injustes, ces équipes qu’on aime détester, cette ferveur populaire. Mais aussi que ce soit encore un milieu non aseptisé où se mêlent haine, violence gratuite ou matchs truqués… Un univers qui paraît difficilement adaptable au format de deux heures d’un long-métrage. Le scénario est le facteur qui rend incompatible football et cinéma. Il semble impossible de mettre en avant la beauté et l’incertitude de ce sport en écrivant au préalable tout ce qui se déroulera durant le tournage.
Si cette tâche s’avère extrêmement difficile pour le football, est-elle plus facile pour d’autres sports ? La boxe ou les arts martiaux sont-ils de meilleurs supports pour le septième art ? Il est évident que chaque sport, par les enjeux sociaux et esthétiques qui le traversent, propose un cadre singulier aux réalisateurs. Au regard de l’histoire du cinéma, certains sports ne seraient même pas compatibles avec le cinéma. Ce qui n’est pas le cas du bobsleigh.