“Elle a dit beaucoup de choses à beaucoup de monde. Mais elle n’a jamais tout dit à qui que ce soit.”
Une blonde à Manhattan, c’est presque un roman noir. Trois individus aux histoires bien distinctes. Trois destins qui se croisent juste pour un instant, mais dont les connexions résonneront pour toujours.
En 1987, Michael Ochs, archiviste, pousse les portes d’un vieil hangar et trouve une série de clichés. Sur certains : Marilyn dans le métro new-yorkais, au fond d’un café. Le grain est brut, le visage sans fard. Les clichés sont signés Ed Feingersh, photographe né en 1924 à Brooklyn, qui a connu la fin de la guerre en Europe, participé à la libération des camps de concentration, s’est confronté à l’horreur nazie. A son retour il devient reporter de guerre, mais en 1955, c’est un tout autre travail qu’on lui confie. La revue Redbook lui demande de réaliser une “picture story”. Il doit suivre Marilyn Monroe pendant une semaine et dévoiler une vision inédite de la star. Marilyn vient de débarquer à New York. En conflit avec la Fox, elle veut changer son image de blonde écervelée. La voilà qui prend des cours auprès de Lee Strasberg à l’Actors Studio et monte avec un ami une société de production dont elle devient la présidente. C’est aussi l’époque de l’éprouvant tournage de Sept ans de réflexion, de Billy Wilder. Marilyn croise Feingersh, accepte qu’il la suive un peu partout pendant une semaine.
A travers une série de témoignages des amis et photographes qui ont côtoyé Feingersh, à travers de nombreuses lectures, Adrien Gombeaud, surtout connu pour ses écrits sur le cinéma asiatique dans Positif par exemple, revisite le mythe Monroe. Ou pour être plus juste, le démolit pour le reconstruire, à l’instar du travail effectué par le photographe au cœur des années 1950. Marilyn n’est plus “ce moineau captif”. “Pure invention”, dit Gombeaud, une image de femme fragile censée être plus rassurante pour la gent masculine que “cette géante aux gros seins qui écrase les hommes qui l’entourent ». Et parce que Feingersh “cultive l’instantané, la force de la lumière brute, minérale, non travaillée”, cette blonde à Manhattan s’affiche en femme d’affaires, une femme au travail, une femme en perpétuelle transformation.
Pourtant Marilyn ne perd rien de son aura, de son érotisme, et la plume de Gombeaud se laisse aller à mêler l’histoire et la légende. Il émet des hypothèses totalement romanesques sur ce qui s’est passé cette semaine. Il cherche les connexions qui unissent ses deux personnages au-delà de leur brève rencontre. Lyrique, rabâchant parfois par trop d’admiration, il explore une page secrète de la photographie. Une page secrète pour rendre hommage au photographe injustement oublié qu’est Ed Feingersh. Gombeaud peint le portrait d’un type au destin tout aussi invraisemblable que celui de la star internationale. Une sorte d’Arturo Bandini, le héros de John Fante, traînant sa carcasse dans New York… “Eddie photographie Marilyn pour une seule raison : parce qu’elle est là, devant lui, à cet instant précis. En cela ces images parlent aussi de lui, de la simplicité de son regard et de la curiosité très saine qu’il avait envers les autres et le monde qui l’entourait.”
Et le monde qui entoure Feingersh s’écaille. C’est la fin d’une époque qui verra disparaître Ed et Marilyn. Avec l’avènement de la télé, le photographe ne trouve plus sa place. Les Desaxés, dernier film de Marilyn, incarne tout en l’évoquant les derniers spasmes des studios. C’est aussi le New York des années 1950 qui expire, celui du café Costello’s, du Barbizon qui donne des cours de bonnes manières aux jeunes New-Yorkaises… qui bientôt ne seront plus.
Une blonde à Manhattan, Ed Feingersh et Marilyn de Adrien Gombeaud ; éditions Le Serpent à plumes, mai 2011, 216 pages, 19 euros.