“Now Andy did you hear about this one…” (“Man On The Moon” – R.E.M.)
“Vous savez ce qu’on dit à propos du stand-up: si vous êtes drôle, vous êtes un acteur comique, si vous ne l’êtes pas, vous faites une performance artistique”, balance pertinemment Todd Solondz dans les premières pages de cet auguste livret. On peut aller plus loin que le guilleret metteur en scène : si vous parvenez à vous accaparer toute l’attention d’un public de bar, puis d’une foule, puis d’un peuple en entier, vous êtes un mythe. Plus qu’un adjectif : un concept. Andy Kaufman n’est pas un comique. Fait-il du stand-up ? Est-il Kaufman, est-il Andy ? Le voilà, qui du royaume des Morts, pirate son propre hommage : quand Milos Forman offre à Jim Carrey son plus grand rôle et atomise une nouvelle fois la stature trop classique du biopic, le film en question, Man on The Moon, devient un film sur Kaufman par Kaufman, sorti tout droit de son cerveau embué, empreint de son état d’esprit humaniste et antipathique, provoc’, fascinant par tous les diables.
Florian Keller se doute bien qu’entre les lignes la vérité sur ce fantasme de l’inconscient collectif ne sera pas plus dévoilée, dans la mesure où « entre les images », il en est de même. Essayez un peu d’écrire un livre sur un homme aux mille visages, renvoyant autant à la philosophie des petits rigolos burlesques du Saturday Night Live qu’aux avant-gardes européennes, autant à Freud qu’au surréalisme, essayez un peu, pour voir ! Il s’agit de creuser, de mettre en exergue, par le prisme d’un hurluberlu charlatan-shizo-génie, toute la complexité de ce qu’il représente au-delà des masques qu’il s’est confectionnés : son pays (le fameux american dream, qui a autant de définitions qu’Andy a de personnages), sa culture, ses idéaux. Rien n’est politique. Rien n’est vrai. Just entertainment !
Et voilà qu’au gré d’une écriture, parfois rude mais souvent riche en chemins proposés, le lecteur se fait philosophe, psychologue, journaliste, analyste, pour tenter de cibler ce « comique extrémiste », se disant que la meilleure manière de l’envisager est de devenir fou, comme Tony Clifton… pardon, Jim Ca… hum, Elvis… oups… Andy Kaufman. Kaufman, êtes-vous bien certain ? Car s’il y a bien quelque chose que cet essai passionnant démontre, c’est la multiplicité des personnalités qu’a l’artiste, pas seulement de manière innée pour le bonheur du show, mais de manière éternelle, à la fois King jamais mort, bestiole maladroite enfantée par l’Amérique, cynique fouteur de troubles venu de Las Vegas, symbole rassurant d’un pacifisme enfantin, Citizen Kane de chair et d’os, vecteur à toutes sortes d’analyses dépassant le stade de la simple notule biographique. Quoi de plus normal de marier idéologie et réflexions plurielles quand, chez Andy, la mort devient un sketch, voire un running gag ? Comme si le trépas n’était qu’une vanne pour ce (non-)humoriste qui, selon les dires de certains, serait toujours en vie, telle une bonne vieille figure de style inséparable du langage courant. Pour une performance, c’en est une !
Voilà un livre qui, derrière ses atours de décorticage cérébral, puise à même ce qui fait le sel de la culture populaire en en définissant, progressivement, les tenants et aboutissants. Kaufman s’est finalement introduit dans le macrocosme culturel comme expérimentateur, figure antithétique de l’Oncle Sam, et, comme les stéréotypes qu’il incarnait, il s’est transfiguré en image (imaginaire ?) iconique. Kaufman EST le Rêve américain dans ce qu’il a de paradoxal (lisez, lisez pour en savoir plus !) mais c’est aussi, et surtout, sous son costume de comédien exceptionnel… la représentation humaine par excellence de la Culture Populaire. La culture pop, soit l’idée d’un médium quelconque parlant au peuple de façon atypique, et qui, par ce rapport de proximité humaine, en vient à se diriger vers le terrain du mythe, de l’incarnation, du rêve, de la fantasmagorie, du concret au symbolisme, de l’humain au divin.
Pour changer, rêvons un peu et nourrissons notre cervelet : mangeons du Andy Kaufman !
Comique extrémiste : Andy Kaufman et le Rêve américain, de Florian Keller, en librairie depuis le 30 novembre 2012. Editions Capricci. 204 pages.