Just for fun
Des années d’attente, quelques films en guise de teasing (les Hulk, Iron Man, Thor…), et, au final, une déception pour beaucoup : le produit-somme de tout un imaginaire Marvel, l’addition pop de figures terriblement iconiques au sein d’une société ayant adopté depuis longtemps la puissance significative des super-héros, tout cela ne donnerait vie qu’à une pure gaudriole en costumes ? La vérité est ailleurs : certes, The Avengers n’est pas baigné de la noirceur Frank Miller-esque des aventures de l’Homme chauve-souris façon Christopher Nolan, et n’atteint pas les cimes formelles et narratives des tours de force de Sam Raimi (la trilogie Spider-Man, équivalent de la trilogie Evil Dead en termes de superhero movie)… Mais, plutôt que de s’appuyer sur la mythologie proprement dite ou sur les émois et la psychologie des hommes en collants, Joss Whedon décide d’user d’un ingrédient qui lui est familier : le fun.
D’où la critique d’un public qui voit en The Avengers une sitcom géante gavée de millions, au service de l’unique « vannage », une masse d’argent dépensée au service d’un Friends à effets spéciaux. Whedon fait effectivement ressentir à travers tout son film qu’il vient de l’école cathodique. Si cet apprentissage l’a voué à une technique qui semble statique, dénuée de personnalité, aboutissant à une rythmique maladroite (comment dynamiser la mise en scène, le montage, si le problème vient du rythme ?), cela l’a aussi conforté dans son envie de faire, justement, du divertissement façon serial, d’où les réjouissances proposées par ce combo de la mort qui tue…
Dès le début le ton est donné, puisque Whedon semble représenter son supervilain de fête foraine (Loki, frère de Thor) comme un affreux sorti de la série Angel, logique auteuriste s’il en est puisque même les combats entre la Veuve Noire (incarnée par Scarlett Johansson) et ses adversaires… vont pencher du côté de Buffy ! Intéressant d’y découvrir un cinéaste dont les idées sont une sorte de mélange entre le ridicule et la crédibilité. Ce qui a certainement contribué à l’échec d’une des séries de Whedon : Firefly (balayée au bout d’une saison !). En termes plus clairs, disons-le tout net : Whedon ne traîne jamais dans la fange ses héros mais impose vite la vision un brin potache qu’il a d’eux, ou plutôt, la manière potache dont il les fait interagir, les uns envers les autres… Le but est de peindre un univers auquel le cinéaste, comme le spectateur, puisse croire, aussi farfelu soit-il, mais sans pour autant que le Whedon en chef ne se prive d’user de dérision et de gags manquant à peine de dédramatiser toute séquence « bigger and louder ». Imaginez un petit peu : une gigantesque séquence d’action, haletante, impressionnante… qui se termine sur un gag façon « cour de récré », nul pour les uns, réjouissant pour les autres… Avouez que cela à de quoi troubler (mais les fans de La Tour Montparnasse infernale apprécieront, et je fais ici un monologue…) ! Concevoir une tournure de ces mythes façon kids, tout en croyant durablement à la force de ces personnages, qui sont plus que des pantins, malgré les taquineries très « gamines », récurrentes… L’acte n’est pas des plus simples.
Or, là est le défi. Le défi, c’est de jouer sur le cynisme sans que ce cynisme écrabouille toute la crédibilité, toute l’utilité d’une scène, de faire du clin d’œil sans tout démolir à coups de bulldozer. Cette manie du clin d’œil complice, Joe Dante l’a comme anticipé depuis un bail, avec son transgressif et incroyablement audacieux Gremlins 2 (1990), suite kamikaze et virulente qui n’a pas manqué de faire hurler (tel fut le cas du producteur : Steven Spielberg !) comme de faire jouir ceux qui voyaient là un cinéma du futur, excessivement basé sur le « méta-textuel ». La règle, dans Gremlins 2 (un coup de poing militant et fédérateur qui annonce les films de Tarantino comme de Kevin Smith), c’est de rappeler au spectateur que tout cela n’est qu’un film. En vrai enfant des années 1990, Whedon s’en souvient ; ainsi fait-il rire par quelques piques bien placées : le duel Loki/Thor est désigné comme une « Shakespeare Parade », le costume de Captain America est raillé, le but des héros, en toute simplicité, consiste, texto, à « sauver l’humanité », et, petit détail rigolo dans un film toujours sur la corde raide, alors que toute une ville est dévastée, que les routes sont en morceaux, et que le combat se fait rude, Bruce Banner se ramène subitement et très tranquillement, on ne sait comment… en moto !
S’il y a de l’ironie (principalement par le biais du personnage de Tony Stark), elle est dosée de manière à ne pas sortir le spectateur du plaisir de l’entertainment. L’entertainment est placé sous la maxime du « just for fun » : plus de vannes, plus d’action, toujours plus. Ce mot d’ordre du just for fun consiste par exemple à utiliser Hulk non pas comme le penseur torturé des précédents opus (qui suis-je ? pourquoi ? Dans quel état j’erre ? Où ai-je rangé mon recueil de Socrate ?) mais comme un bousilleur maousse (« Défonce tout ! » lui conseille-t-on…).
Pour résumer la particularité d’un « petit » blockbuster si sympatoche, il suffit d’analyser son climax fou-fou-fou. Whedon déploie la grosse artillerie, et, tel un Sam Raimi se bousillant les fusibles avec Spider-Man 3, balance de la bastonnade d’anthologie. En une séquence fluide où chaque super-héros explose de sombres créatures venues d’ailleurs, la caméra balaie en un instant chaque personnage, dans un même mouvement de symbiose parfaite de groupe, une scène aussi destructrice que jubilatoire, tant elle exploite son principe-titre (les Avengers, tous ensemble, unis pour combattre le mal) comme le faisait, par exemple, Brad Bird et son fabuleux Les Indestructibles. Une séquence où l’humour se mêle à l’illustration de semi-dieux en plein ouvrage : pour le coup, le cynisme, donc, ne conduit pas à une parodie façon superhero movie, mais à une œuvre de dérision SUR les super-héros. Par exemple, si l’argument des « cartes Panini » peut sembler cynique (Captain America regarde des cartes à son effigie pour retrouver la foi), elle contribue pourtant à montrer ce que le super-héros représente au sein du public (ce n’est pas si cynique puisque cela permet à un super-héros de se rendre compte de son importance, la preuve que Whedon aime ce personnage).
Un drôle de film, donc, semblant « in progress » par ses inégalités, comme si le réalisateur concevait ici une énième série déclinée sur 2h20, une « version longue » faite initialement pour être séparée en plusieurs parties, pour que le tout soit progressivement enrichi, pour que les fulgurances soient fortifiées au fil des épisodes, que certains personnages bénéficient de plus de place, que d’autres enjeux se dévoilent. Cet aspect télévisuel est explicite, par le format 4/3 utilisé, et par cette impression d’assister à un florilège de petits instants drôles que Whedon semble vouloir prolonger « au cours des saisons » (ces chamailleries entre les justiciers se vannant comme des lycéens), chose impossible puisque les limites du long-métrage l’obligent à négliger les fioritures qui sont pourtant les instants les plus agréables du film (le fun, l’humour…).
Bref, si vous aimez afficher fièrement votre cape de super-gros-mangeur-de-pop-corn, si vous trouvez que Batman et Robin est un hénaurrrme moment de comédie, sans déc’, si vous rigolez à l’idée d’un bad guy qui ressemble moins au Docteur Octopus qu’à Butters version superméchant de l’apocalypse (South Park) dans ses attitudes de vilain immature, ou si vous voulez seulement passer un bon moment en donnant sa chance à Whedon, petit fanboy pas si naze que la légende le laisse entendre, vous savez ce qu’il vous reste à faire. The Avengers c’est le mystère de la subjectivité de l’humour. Si voir Thor combattre comme un catcheur ne vous fait rien, si le combat Hulk/Loki ne titille pas votre fibre de spectateur « bon public », tant pis pour vous… Mais tout fan de Bad Boys 2 ne peut qu’aimer ces belles destructions de pâtés de maisons qui sont la marque de toute bonne œuvre citoyenne. Or, Whedon est un honnête citoyen. The Avengers, c’est donc du cinéma de bon goût.
«Mais nous n’avons pas les mêmes valeurs… »
The Avengers de Joss Whedon, avec Robert Downey Jr, Chris Evans, Mark Ruffalo, Chris Hemsworth, Scarlett Johansson, Jeremy Renner, Tom Hiddleston, Stellan Skarsgard, Samuel L. Jackson… Etats-Unis, 2012. Sortie le 25 avril 2012.
Je viens de lire votre article et il y a un point qui me dérange :
“Cet aspect télévisuel est explicite, par le format 4/3 utilisé”
L’image n’est pas en 4/3 mais en 1.85. Ce n’est pas du 1.33.
Un des dernières films que j’ai vu, non documentaire et en décors réels en format 4/3 (donc en 1.33) est “Eyes Wide Shut” de Kubrick.
Si non pour le reste je suis d’accord avec vous.