Br(h)it Machine
Londres,1997. En déversant sur le monde les refrains ineptes de ses bandes de boys & girls – pecs lustrés et sourire sanitaire pour lui, survêt’ de passionaria gymnique pour elle -, l’industrie musicale de la fin des 90′s affiche l’arrogance et le cynisme du plus détestable des parvenus. Alors même que déferle la vague Brit-pop, elle impose un postulat affligeant qui soumettrait l’avenir des nouveaux Oasis, Blur, Radiohead ou Pulp, aux performances commerciales du Short Dick Man (1). Pour que vivent les uns, il faut que les autres se vendent. Et si ça ne suffit pas, on invente même une guerre picrocholine – le clash Blur-Oasis – pour alimenter la machine… Le constat est amer. L’appétit aiguisé par les profits colossaux engrangés par ceux qui parviennent à décrocher la timbale du tube au meilleur ROI (retour sur investissement, taux de rendement…), les labels passent la pop culture à la sulfateuse du grand capital. La musique s’écrit maintenant sur les partitions d’un tableau Excel. Quand ça marche, le pognon coule à flots dans des torrents de champagne. Excités par la promesse d’un pouvoir illusoire bâti sur le stupre et la coke, les jeunes mâles alpha qui peuplent désormais le business du disque sont de sanguinaires créatures de la nuit prêtes à s’entre-dévorer sauvagement à la moindre faiblesse. C’est dans ce contexte, où avoir de la culture musicale passerait presque pour une faute de goût professionnelle, qu’évolue Steven Stelfox (impeccable Nicolas Hoult, gueule d’ange et sourire carnassier), directeur artistique en mode requin tigre et chasseur du tube qui lui permettra de se hisser un peu plus près du sommet de la chaîne alimentaire pour sauver sa tête avant qu’un petit assistant, encore et toujours plus vorace, vienne lui arracher à son tour. Dans son univers impitoyable, déprimé et déprimant comme ses lendemains de défonce, tuer ou se faire tuer, au propre comme au figuré, est une question existentielle. Alors, le jeune Stelfox, fan de musique honteux aux neurones poudrés et alcoolisés, va comploter et assassiner pour éliminer la concurrence (tout aussi misérable), descendre aux enfers puis remonter s’asseoir dans le fauteuil en croûte de cuir qui trône dans le bureau du boss avant qu’un petit…
Tuer, oui, mais des amis certainement pas… ce mot n’appartenant pas au vocabulaire des sinistres personnages qui traversent comme des zombies surcokés le premier long-métrage d’Owen Harris. Kill Your Friends, adaptation du roman éponyme et autobiographique de John Niven, également scénariste du film, est le portrait au vitriol d’un milieu professionnel prétendument créatif gangréné par la vacuité et la dope. Une satire contemporaine, caustique et trash qui rappelle bien plus certaines outrances psychédéliques des 99 francs de Kounen-Beigbeder que la violence romanesque du Loup de Wall Street de Scorsese. Ici, la charge est lourde. Le label en question est une pétaudière remplie d’irrécupérables ignares vaniteux et nocifs animés par leur seul cerveau reptilien. Des cas si désespérés de bêtise malveillante, qu’aucun espoir de rédemption n’est possible. Les saynètes mordantes, drôles, parfois savoureuses – mention spéciale à Moritz Bleibtreu en producteur érotomane venu vendre sa camelote au Midem – s’enchaînent avec suffisamment de rythme pour qu’on ne s’attarde pas trop sur une intrigue policière artificiellement plaquée et à l’issue convenue et mollassonne sur le pouvoir toxique des strass et des paillettes. En revanche, contrairement à la banalité du sous-texte sur l’ultraviolence d’un monde du travail créateur de monstres comme Stelfox, ce sont tous les coups de griffes portés au milieu frelaté de la musique qui font mouche et assurent le spectacle. On découvre un monde cupide, cynique et sclérosé où l’argent facile promis par un tube bien ficelé agit comme un irrésistible chant des sirènes aspirant tout vers les profondeurs d’un océan de médiocrité. Au-delà d’un récit à la première personne vif et vachard mené par une voix off parfois agaçante, Owen Harris met intelligemment à profit une formidable BO soigneusement élaborée. Car en dehors des postures tape-à-l’œil et des ficelles un poil grossières, son film est aussi et surtout un bel hommage en creux au patrimoine musical britannique (cité à plusieurs reprises, le nom totémique de Paul Weller agit comme un rappel subliminal et bien senti aux fondamentaux). Thriller raté mais satire acérée, Kill Your Friends donne furieusement envie de réactiver son lecteur CD et d’y glisser une petite galette argentée du siècle dernier.
(1) Short Dick Man, morceau de 20 Fingers, 1994
Kill Your Friends d’Owen Harris, avec Nicholas Hoult, Craig Roberts, James Corden… Angleterre, 2015. Sortie le 2 décembre 2015.
Vu également en avant-première, bon film, pour moi 4.5/5
Et ta mère ça va ?
Pas trop… Il a pas dû dire bonjour
En fait l’affaire est plus complexe. Il l’a pas té-ma dans les yeux.