Trois ans après avoir présenté Somos lo que hay, ou la difficile succession d’un patriarche cannibale dans une famille mexicaine, la Quinzaine des réalisateurs propose son remake : We Are What We Are. Un remake en constante opposition puisque Jim Mickle filme des adolescentes quand Jorge Michel Grau soulignait l’importance du rôle de chef de famille masculin, le tout en plein jour ou à la forte lumière des bougies, alors que Somos lo que hay usait des recoins de la nuit mexicaine. L’action a été transposée dans l’Amérique profonde. C’est la mère de famille, et non plus le père, qui meurt subitement, laissant à sa fille aînée la responsabilité de gérer le rituel annuel séculaire. Là où le réalisateur mexicain en profitait pour aborder les questions de la violence urbaine, de la corruption ou de la prostitution en mettant en scène la recherche de proies, l’Américain aborde celles de la religion et du poids des traditions, tout en tardant à évoquer explicitement son sujet. Jim Mickle reprend la même structure que son prédécesseur, privilégiant d’abord la chronique familiale au film de genre et l’enquête à la vengeance. Si bien que la question du cannibalisme – prolongée ici en maladie du prion – arrive aux deux tiers du film. Et si un coup de pelle magistral a été conservé, c’est plus la tension familiale, le doute naissant et la méfiance grandissante qui intéressent le réalisateur. On salue l’intelligence du remake, qui se soucie, non pas de reproduire l’original en se contentant de le traduire, mais de le prolonger, d’en offrir une nouvelle lecture. Dommage cependant que Jim Mickle reste, comme ses personnages, un peu trop enfermé dans un certain traditionalisme et n’approche la folie outrancière de Jorge Michel Grau que dans les toutes dernières minutes de son film.
» Lire aussi l’interview de Jim Mickle
We Are What We Are de Jim Mickle, avec Bill Sage, Ambyr Childers, Julia Garner… Etats-Unis, 2013. Présenté à la 45e Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Présenté en compétition du 21e Festival du film fantastique de Gérardmer.
» Retrouvez tout notre dossier dédié au 66e Festival de Cannes
Peut-on accepter que le festival propose en sélection le remake d’ un film primé il y a 3 ans??! Qui plus est une stricte copie sans saveur sur les 45 premières minutes. A vomir.
La première séquence est effectivement une copie (sauf que c’est la mère et non le père qui meurt) mais à mon sens la suite n’a absolument rien à voir avec l’original. Ce qui était fortement appuyé dans le film de Grau est particulièrement subtile dans We Are What We Are (les flics ripoux, la prostituée victime idéale, l’homosexualité et un doigt non digéré dans Somos lo que hay n’étaient pas très fin, mais c’était probablement aussi l’objectif : dénoncer une situation mexicaine). Le réalisateur lui-même a toujours affirmé haut et fort qu’il s’agissait d’un remake (alors que d’autres – beaucoup d’autres – font des “faux remakes” sans le dire, ce qui s’apparenterait plutôt à du plagiat, du coup…), et parce que ça nous avait justement interpellés, on lui avait demandé à l’époque (le film a été présenté l’année dernière à la Quinzaine des réalisateurs) quelques éclaircissements :
http://www.grand-ecart.fr/cinema/rencontre-interview-jim-mickle-we-are-what-cannibale/
Je ne vois pas pourquoi un remake n’aurait pas sa place dans un festival tant qu’il est clair qu’il en est un, surtout lorsqu’il est d’aussi bonne qualité. Je partage le même avis teinté de colère que toi lorsque je vois le remake américain de l’excellent Morse, qui n’apporte rien du tout à l’oeuvre originale, le propre remake de Dark Water, qui n’a pour seul but que d’avaliser le réalisateur aux USA, ou même, pour sortir un peu des films primés à Gérardmer, aux films “hommage” comme le Old Boy de Spike Lee (peut-on vraiment faire mieux que le film de Park Chan-wook ?).
Mais We Are What We Are prolonge l’expérience proposée dans Somos lo que hay, en donne une nouvelle lecture. La matière brute et géniale dont disposait Grau est ici magnifiée, et ça peut être la critique faite à ce film : il est plus facile d’ajouter des éléments à un film lorsqu’on n’a pas à chercher l’idée originale… Mais si on crache sur les remakes, pourquoi ne pas cracher aussi sur les adaptations cinématographiques de romans ? Elles sont légion, rarement notifiées (sauf lorsqu’il s’agit de l’adaptation d’un best seller, parce que ça relance encore un peu les ventes) et dans une grande majorité des cas ne valent pas non plus l’originale. Sauf que pour un Cosmopolis (http://www.grand-ecart.fr/cinema/cosmopolis-david-cronenberg/) décevant qui doit tout à Don DeLillo, un auteur trop peu lu, ou un Sleeping Beauty (http://www.grand-ecart.fr/recadrages/sleeping-beauty-leigh-interdiction-censure/) qui n’avoue être un plagi… pardon, une adaptation des Belles endormies de Yasunari Kawabata que lorsqu’il est menacé de censure, il y a des Psychose et autres Blade Runner qui magnifient la matière première, et ça, moi, je m’en réjouis…
Non ?
Il y a une différence énorme entre un roman qui étend son territoire et un festival, très critiqué ses dernières années (cf. Christophe Lambert…) qui déjuge l’un de ses films primé en 2011, cru exceptionnel ici ! L’original a été primé devant “j’ai rencontré le diable”… Sélectionner le remake revient a valider que cette version surpasse la première. Elle surpasserait donc l’œuvre de Kim jee-woon ? Je pense que rien que pour cette raison, il aurait fallu le proposer en hors catégorie et que c’est une énorme erreur. Concernant le contenu du remake maintenant. Effectivement, la mère meurt au lieu du père. Et 2 jolies blondes apparaissent… Wellcome in usa, c’est le cliché du remake de bas étage ! Continuons. Dans l’original, l’une des scènes phares reste la première chasse du jeune fils qui doit trouver une proie pour permettre a sa famille de survivre. Brutal et prenant. Rien de cela dans le remake ou le “monstre” est déjà enfermé. Sur mon fauteuil, je fulminais de déception… Je trouve également les personnages moins profonds et charismatique, que dans l’original et le légiste ne vaut en partie pas la comparaison face a l’original. En conclusion, je pense qu’il y a un dejugement du jury de 2011 qui aurait pu être évité pour un remake qui ne plait manifestement pas a tout le monde. Pas d’accord?
Non, pas d’accord
D’abord tu critiques le fait qu’il s’agisse d’un remake “plan pour plan” et maintenant tu me dis qu’il manque la scène de chasse… Oui, et heureusement qu’il manque cette scène, c’est bien ce qui donne au remake son intérêt. Et je ne fais pas de comparaison entre la scène de la cave et celle de la chasse dans l’original, les deux sont très bien pensées et bien placées dans les films respectifs.
J’ajoute d’ailleurs que Mickle et Grau sont potes, et que le remake s’est fait en concertation entre les deux, et avec l’adoubement de Grau…
Concernant le risque de “déclasser” un film récompensé, tu touches à un point important : celui, pour un journaliste ciné, de faire abstraction de films précédents tout en gardant en tête au moment de rédiger la critique que tout film s’inscrit dans un patrimoine audiovisuel fort d’un siècle d’oeuvres. C’est ce qui explique aussi pour certains journalistes la difficulté d’attribuer une note à une oeuvre (ce qu’on a décidé de ne pas faire, d’ailleurs, sur Grand Écart). Si je donne la note maximale au film-étalon (disons Metropolis, soit un chef-d’oeuvre qui a traversé l’histoire du cinéma et a influencé sa grammaire), est-ce que je peux désormais attribuer la même note à un film (forcément moins bien, en tout cas dans mon hypothétique échelle de valeurs) qui vient de sortir ? Oui, on ne peut pas immédiatement comparer les deux, plein d’éléments (la démarche, le budget, la mise en scène, même l’époque, etc.) entrent en ligne de compte pour pouvoir les mettre l’un en face de l’autre.
Il n’y a pas de contradiction à sélectionner We Are What We Are cette année : ça ne signifie pas qu’il est meilleur que l’original ou que J’ai rencontré le diable. Le classement est annuel, il ne remet pas du tout en cause celui des autres années. Quant à la sélection de Gérardmer, si Lambert n’avait pas vraiment tort l’année dernière, pour un mec qui a fait autant de daubes qui ont justement été connues grâce à des festivals, ça revient un peu à cracher dans la soupe…
Il n’y a rien de nouveau : pour un Fausto 5.0 récompensé, il y a un Donnie Darko oublié (2002) ; pour un honorable La Mariée aux cheveux blancs, il y a un superbe Cronos laissé de côté (1994)… Et personne ne sous-entend que Fausto 5.0 est meilleur que J’ai rencontré le diable, si ?
Je te réponds rapidement, car entre temps, je pense qu’il y a eu beaucoup à dire sur d’autres films (The Babadook et ma grosse surprise perso : Ablations). JNB, tu m’as convaincu sur la place d’un remake dans une sélection. Effectivement, si ce dernier vaut le détour, pourquoi pas ? Pour We are What We are, en revanche, je reste plus que sceptique. Le film est très lent à se mettre en place (comme l’original d’ailleurs) et je me suis ennuyé. Sauf que quand je m’ennuie dans une production américaine, je perd le charme sauvage d’un ennui exotique (snobisme perso…). Je vais donc m’empresser de revoir le film de Jorge Mikel Grau et je conseille à tous les lecteurs du site de tester… les 2 versions. A chacun sa vision !
en tout cas votre débat m’aura effectivement donné envie de voir l’original