« Mon analyste m’a dit que dans les situations catastrophiques, les mélancoliques gardaient plus la tête sur les épaules que les gens ordinaires, en partie parce qu’ils peuvent dire : qu’est-ce que je t’avais dit ? Mais aussi parce qu’ils n’ont rien à perdre », dixit Lars von Trier. Le germe du film est ici. Au cœur de cette maladie de l’âme qu’on appelle mélancolie.
Car Justin (Kirsten Dunst) est dépressive, comme on dit de façon plus triviale. En surface, elle peut discuter, sourire, rire, mais le regard est absent. Comme si elle était morte en oubliant son corps sur terre. Pour tenter de revenir à la vie, elle s’accroche à un rituel, mais les rituels sonnent faux, et son mariage n’est qu’illusion. Claire (Charlotte Gainsbourg) est forte, aimerait que sa sœur s’en sorte. Mais quand la planète Melancholia se rapproche de la Terre, grondant pour annoncer l’apocalypse, c’est elle qui s’effondre et l’autre qui fait face.
Ca planche dur sur le cosmos en ce moment. Après l’incroyable Tree of Life de Terrence Malick, Lars von Trier se met lui aussi à scruter l’infini. Et en conclut qu’on est définitivement tout petits. Seuls dans l’univers. Glaçant, il nous dit que si tout disparaissait sur Terre, ce ne serait pas la fin des temps. Ouvrant et concluant son film comme un opéra, Wagner à fond les ballons, esthétique romantique en guise de vernis, sa fin du monde est aussi belle que son film est étrange. Alors que la planète Melancholia s’apprête à dévorer la Terre, il installe une atmosphère vaporeuse, nonchalante. Donne le vertige. Sans cris et au ralenti, le monde va disparaître. Et alors ?
Tandis que Malick trouve un sens dans le moindre brin d’herbe, Trier démontre que rien n’a d’importance.
Melancholia, de Lars von Trier, avec John Hurt, Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Udo Kier, Charlotte Rampling… France, Danemark, Suède, Allemagne, 2011. Sortie le 10 août 2011. En compétition au Festival de Cannes 2011.
Menuet fatal
Le traitement de la fin du monde par Lars von Trier ne laisse pas indifférent. S’éloignant des blockbusters, il traite le sujet en lui donnant le goût d’une fable poétique et dramatique.
Après une introduction exhalant un romantisme teinté de morbide, l’humeur de notre héroïne, Kirsten Dunst, se délite au fur et à mesure que la menace se précise. Elle tente bien de donner le change devant les invités de son propre mariage mais finalement la dépression la submerge. Le couple naissant n’y résiste pas et le flot de sa douleur emporte le bonheur convenu. La dépression est la plus forte comme cette planète, Melancholia, qui exécute un dangereux pas de deux avec la terre.
Mais la terre n’est pas la seule victime, la raison aussi sort vaincue de ce menuet. Le gendre, scientifique aux certitudes bien campées, et qui incarne ici la raison, fini par être vaincu dans cette danse lascive entre les planètes. L’intuition de sa belle-sœur est bien plus clairvoyante que les certitudes du monde scientifique. Il est vrai que le réalisateur fait dire à l’héroïne qu’il n’y a rien attendre de la vie car « ici tout est mauvais ».
Le film est subtilement rythmé par un montage prenant le partie d’une caméra alternant des plans fixes ou à l’épaule, suggérant la quiétude ou la menace.
Dans ce monde ou les faux semblants alternent avec le désespoir, le malheur comme le bonheur bégaient. Le refuge se trouve alors dans le règne du monde animal, incarné par des chevaux, qui a l’approche du dénouement final s’apaisent, et dans la nature – apparemment paisible – mais tout aussi inquiétante. On peut évidemment être gêné par le nihilisme apocalyptique de l’auteur. Ame sensible s’abstenir.
L’attitude de la mariée, « insensée » aux yeux de notre scientifique, préfigure en fait le destin de tous. En nous confrontant à l’expérience d’une mort certaine, il fait appel à notre humanité, et nous invite à livrer les clés de la vie.
Mais pour Lars von Trier, il semble qu’elle n’ait pas d’issue, au final : le manoir est un linceul d’où personne ne peut s’échapper (ni à cheval ni en voiture). Malgré quelques sursauts, la fatalité d’un destin tragique domine. Et dans le plan final, à la beauté cruelle et frappante, il finit d’achever sa démonstration d’un cinéma dans la pleine puissance de ses moyens et dans le constat désabusé du monde. Beau film à la beauté vénéneuse.
Lars von Trier n’est pas malade, il est lucide.