L’effet K, ou « effet Koulechov » du nom de son théoricien, ou encore « expérience Mosjoukine », met en lumière la fonction créatrice du montage au cinéma et s’interroge sur le travail de l’acteur. En 1921, le réalisateur russe Lev Koulechov fait une expérience fascinante et novatrice : il choisit un plan de l’acteur vedette de l’époque Ivan Mosjoukine, plan sur lequel le visage de l’acteur est neutre et ne laisse paraître aucun sentiment particulier. Ce plan, il le décline à l’identique trois fois. La première fois, il le fait suivre d’une autre image, celle d’une assiette de soupe. La deuxième fois, le plan est suivi de l’image d’un cercueil dans lequel repose un enfant ; enfin, une femme lascive allongée sur un canapé succède au dernier plan neutre d’Ivan Mosjoukine. La faim, l’affliction et le désir : trois émotions suscitées par les plans en contrechamp de celui de l’acteur.
Si le film est parvenu jusqu’à nous, la mise en pratique de l’expérience manque de clarté. Comment les trois séquences ont-elles été présentées au public, on ne le sait pas précisément ; ce qui est sûr, c’est qu’à chaque fois, les spectateurs ont loué le jeu parfait de la star russe, alors même que cette dernière a participé involontairement à l’expérience. Avec cette petite manipulation inoffensive, Lev Koulechov démontre la force des images et le pouvoir du montage. Il renvoie au spectateur son propre regard, que celui-ci semble également « réimprimer » sur l’acteur, le chargeant de sentiments qui ne sont pas les siens. Test peu flatteur pour l’acteur, l’histoire ne dit pas si celui-ci en a voulu au réalisateur.
Sans grande conséquence lorsqu’il s’agit de provoquer l’envie ou la tristesse, on imagine bien la force d’autres images sur des populations complètes. Dictateurs et armées l’ont bien compris et ont su utiliser images, son et montage à une fin de propagande. Chris Marker, autre réalisateur-théoricien, a d’ailleurs prolongé l’expérience de Koulechov (expérience réalisée au temps du cinéma muet) dans sa Lettre de Sibérie. Il y explique – entre autres choses – la force du montage sonore en appliquant aux mêmes images trois textes différents : le premier fait l’éloge de l’URSS, le deuxième la critique abondamment, et le troisième choisit l’objectivité. Force est de constater que les trois voix off chevauchent parfaitement les images, les rendant tour à tour séduisantes ou terrifiantes. Contrairement à l’idée reçue, Marker précise que l’objectivité ne permet pas non plus d’appréhender la réalité sibérienne, elle constitue d’ailleurs en l’espèce le commentaire le plus injuste. « On fait dire aux images ce qu’on veut. » Une formule toute prête dont la démonstration, ici éclatante, relativise grandement le travail du comédien comme celui du metteur en scène. Sir Alfred Hitchcock ne s’y était pas trompé, en affirmant que le montage est l’élément clé de la grammaire cinématographique.
Ca me rappelle une autre expérience aussi célèbre. On coupe une aile à une mouche et quand on lui dit “vole !” elle bat de l’aile en tournant en rond. Ce que l’expérimentateur va noter sur son carnet. Puis on lui arrache les 2 ailes. “Vole !” dit l’expérimentateur. La mouche ne bouge pas. “Quand on lui arrache les 2 ailes, la mouche devient sourde” note l’expérimentateur sur son petit carnet.
Heureusement Marker (et Koulechov) avaient aussi d’autres qualités que celles de professeurs de physique… Autant parler de celles là.
C’est en effet une expérience que je fais souvent volontairement ou non en face d’images et de réels visages, et dont j’admire la réelle dimension qu’elle apporte à l’art visuel ( ou même autre ), mais l’effet K semble en donner la définition presque technique, ce que je trouve admirable.