Cette semaine, Air Cinema, la web-série cinéphile et moustachue, reprend l’une des scènes cultes de Gremlins, le bijou impertinent de Joe Dante. Doit-on voir dans ce détournement un hommage à un réalisateur génial qui, s’il ne l’a pas inventé, a hissé l’exercice de la référence, de l’allusion, au rang d’art cinématographique ? Retour sur Gremlins, chef-d’œuvre de l’horreur qui convoque autant l’humour noir que l’épouvante.
Bienvenue dans l’enfer de Dante
Qui n’a pas déjà vu Gremlins ? L’histoire de Billy, à qui on offre un Mogwai nommé Gizmo en précisant qu’il ne faut jamais, au grand jamais, l’exposer à la lumière du soleil, le mouiller ou le nourrir après minuit a fait le tour du monde. Réalisé en 1984, produit par Steven Spielberg et plus gros succès de son réalisateur, Gremlins a su séduire – et effrayer – jeunes et moins jeunes. Car tout a une double lecture chez Joe Dante : si le divertissement est de mise, il s’efface souvent derrière un discours plus acerbe. Si la petite ville de Kingston Falls semble paradisiaque, avec ses rues recouvertes de neige et ses décorations de Noël hautes en couleur, elle cache une noirceur qu’il ne faut pas chercher longtemps (ses atroces drames familiaux, ses habitants racistes, lâches ou cruels). Et si Gremlins semble a priori destiné aux enfants, avec son Mogwai craquant et niais au possible, le film comporte pourtant son lot de scènes carrément terrifiantes : la séquence de la cuisine dans laquelle la mère de Billy lutte pour sa survie et son espace de liberté («Mais tu vas sortir de ma cuisine ! », hurle-t-elle en poignardant une des bébêtes visqueuses), la mutation du Gremlin à crête blanche qui se jette dans la piscine, et l’apothéose finale avec liquéfaction du même Gremlin.
Bref, sous ses airs de gentille comédie horrifique, Gremlins est un authentique film d’épouvante, qui prend le spectateur par la main pour l’emmener dans le tendre souvenir de son enfance avant de le précipiter dans le monde lugubre et grotesque des cauchemars nocturnes. Et c’est aussi une charge critique visionnaire contre la société. Lorsque le vieux propriétaire du Mogwai vient récupérer son bien, il lance : « Je vous avais prévenu ! Avec Mogwai arrive plein de responsabilités, mais vous ne m’avez pas écouté… Vous voyez ce qui se passe ? Vous faites avec Mogwai ce que la société a fait avec tous les dons que la nature lui a offerts. Vous ne comprenez pas ! Vous n’êtes pas prêts… » Et ce, bien avant qu’on crie au danger de l’exploitation de la planète et que l’écologie devienne (enfin) un sport national.
Double jeu
Mais surtout, comme chaque élément de Gremlins possède son antagoniste, ses images elles-mêmes ont leur double lecture. Au même titre que Steven Spielberg, Brian De Palma, Wes Craven (d’autres cinéastes de sa génération) ou plus récemment Quentin Tarantino, Joe Dante est un cinéaste de l’allusion et de la référence. Peut-être même plus versé dans cet art que ses confrères, il manie la citation visuelle avec jubilation et acuité. Depuis le génial The Movie Orgy (1), fresque géante qui se nourrit de l’histoire populaire des Etats-Unis à travers le cinéma et la télévision, Dante n’a eu de cesse de se référer à d’autres œuvres, de les intégrer à ses films, voire de les recycler (sous la forme d’autoréférences, à ses propres œuvres, donc). Contrairement à la littérature qui peut, avec l’ingénieuse invention des guillemets, pratiquer sans heurts l’intertextualité (quoique certains ont manifestement encore leur ticket d’entrée pour le plagiat pur et simple), le cinéma ne jouit pas de cette facilité. Si d’aucuns crient au vol en regardant Kill Bill, la plupart reconnaissent l’hommage d’un réalisateur brillant aux films de sa jeunesse. En matière de guillemets, Dante utilise à l’envi un écran de télévision (dans Gremlins, une scène de L’Invasion des profanateurs de sépultures dans la petite lucarne préfigure la dangereuse métamorphose des Mogwais), une étagère de bibliothèque, un bureau (l’ouvrage The Howl d’Allen Ginsberg est ostensiblement posé sur une table dans Hurlements), une ambiance sonore, et bien sûr la profondeur de champ, mine d’or pour tout réalisateur qui aime faire des gags quasi invisibles.
Dante joue avec le spectateur. Là aussi se cache un double sens : d’abord le cinéaste joue avec les nerfs du spectateur, par exemple lorsqu’il met en parallèle la véritable attaque du loup-garou de Hurlements avec un cartoon montrant le grand méchant loup sur une télé allumée dans la pièce. Si de la séquence naît un ressort comique, le contraste entre les deux scènes amène surtout la tension à son paroxysme : puisque le loup à la télé appartient à une fiction, c’est que celui devant nos yeux est tout à fait réel. A cet égard, Joe Dante n’aura de cesse dans Hurlements de rappeler au spectateur que tout ce à quoi il assiste est vrai, l’ironie fonctionnant comme la cerise sur le gâteau d’une œuvre ultraréférencée et parfaitement maîtrisée. Autre exemple, les smileys qu’on retrouve çà et là dans presque toutes ses réalisations – Gremlins, Hurlements, Explorers, Small Soldiers, le récent The Hole… – et qui, invariablement, sont annonciateurs de mauvais présages. Car c’est enfin cela, le jeu de Dante avec le spectateur : il joue en compagnie de celui-ci. Grâce à toutes ces références, devenues parfois des autoréférences à mesure qu’on les retrouve dans ses différents métrages, Dante, qui de son propre aveu, est son spectateur idéal (2), prolonge le plaisir du public. Le cinéma ne forme plus qu’un tout, avec des mondes qui se font sans cesse écho. Libre au spectateur de chercher la référence, de la comprendre. De revoir les films, encore et encore, et d’en saisir toujours plus de détails comme pour terminer un immense jeu de pistes. Une satisfaction plus élitiste que le simple clin d’œil, parce que plus érudite et tournée vers l’autre.
Caméo Meha
En bon cinéphage, Joe Dante partage d’ailleurs sa passion. Lorsqu’il crée le site Trailers from Hell en 2007 (3), c’est pour réhabiliter, non sans humour, tous ces classiques oubliés qui ont nourri l’enfance d’une génération de cinéphiles. Et lorsqu’il tourne Hurlements, qu’il donne à ses personnages le nom d’anciennes gloires du cinéma fantastique, c’est, en filigrane, pour crier aux spectateurs : « Si ce film vous a plu, allez en voir d’autres, aller voir Le Loup-garou de George Waggner ! » Quant à Gremlins, relever ici toutes les références qu’il contient gâcherait le plaisir de visions multiples, et surtout confinerait à la liste interminable… Au-delà de citations immédiates parce que fameuses (le « Téléphone maison » lâché par un Gremlin avant d’arracher les fils électriques de l’appareil ou le pastiche de Flashdance au Dorry’s Tavern), d’autres plus singulières jonchent l’œuvre. Qui a en effet repéré d’emblée la marquise de cinéma affichant les films A Boy’s Life et Watch the Skyes, respectivement titres de travail de E.T. et de Rencontres du troisième type ? Qui a reconnu Steven Spielberg sur un vélo électrique regardant une scène de Poltergeist au Salon des inventeurs, qui a remarqué la machine à remonter le temps en arrière-plan de la même scène, ou encore les références à Capra et Hitchcock ? Qui a noté le dessin de Lon Chaney Jr se transformant en loup-garou sur un bureau ou celui du piranha sous les pieds du Mogwai, augurant déjà des dangers à venir ? Alors, une envie de revoir Gremlins ?
Depuis cinquante ans le réalisateur de Panic sur Florida Beach clame son amour pour le septième art, qu’il défendait déjà dans les colonnes de magazines avant d’officier pour Roger Corman (tiens, qui est cet homme dans la cabine téléphonique d’Hurlements ?). Devenu un passeur de culture à travers ses emprunts au cinéma et aux autres arts, nul doute qu’en voyant à son tour ses œuvres pastichées, détournées et adorées par toute une génération de geeks cinéphiles, à l’instar des créateurs d’Air Cinema, le cinéaste affiche un sourire satisfait de savoir la relève existante et toujours aussi insolente.
(1) Coréalisé avec Jon Davison entre 1969 et 1975, The Movie Orgy est un immense montage de sept heures d’extraits de films, de dessins animés, d’émissions télé, de publicités, sans cesse remis à jour pendant les six années de sa réalisation. Inédit, montré une seule fois en France au Festival du film d’Amiens en 2011 dans une version réduite à 4h30, The Movie Orgy constitue les prémices du colossal héritage pop de Joe Dante.
(2) A la question « Quel serait votre spectateur idéal ? » posée par Frank Lafond, Joe Dante répond : « Moi ! Ce que je veux dire, c’est que je les fais pour moi. […] si vous ne faites pas un film que vous iriez voir, comment pourriez-vous vous en sentir proche ? Ce doit être quelque chose qui vous parle. » in Joe Dante, l’art du je(u), Frank Lafond, Rouge Profond, 2011.
(3) Trailersfromhell.com. Cocréé en 2007 par Joe Dante, Trailers from Hell redonne une place méritée aux vieux films de genre en proposant pour chacun une bande-annonce et un commentaire vidéo.
“Caméo Meha”. Je dis chapeau !!!
L’art de la référence
Merci XP !
J ai détesté ce film et je trouve que les boules de poils étaient déjà moche avant de se transformer.Quand je l ai vu,j étai tous seul j avais été seul et j ai regarder du début à la fin et j ai trouver sa très nul
Merci Machet.